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la chronique de montpoulet

24- Le beau Douglas

Publié le par Les Malaugenoux

Résumé des épisodes précédents : Françoise et Bernard ont racheté en 1994 la ferme de l’arrière-grand-père de Bernard, à Montpoulet, Saint-Victor. Depuis la région parisienne, ils viennent d’abord y passer leurs vacances et débroussaillent. Ils retrouvent la source, découvrent une faune fabuleuse et des paillettes d’or tandis que la configuration cabalistique des fondations de la ruine les fait espérer un trésor. Ils viennent s’installer sur place en 1997. Leur permis de construire est refusé trois fois puis accepté après plusieurs recours, et les travaux vont bon train malgré l’amateurisme de ces « néo-ruraux ». Pas sans anicroches cependant puisque parti à la recherche d’ossements, Bernard dégage un mur d’un peu trop près et il s’éboule en menaçant d’entraîner tout le reste.
                               eboulement2004.png
Suspendus en l’air, donc, les deux tableaux de la future baie vitrée, toute la superstructure en maçonnerie de pierres et l’appui de l’arbalétrier en bois rond, ce beau sapin Douglas courbe. Qu’allais-je faire ?
Il me semble que c’est là que j’avais laissé le lecteur… ah oui, il y avait aussi une histoire d’ossements indiqués par un pendule… Mais avant de répondre, il faut quand même que je raconte l’histoire de cet arbre. On nous dit partout qu’il faut défendre la forêt et les arbres qui nous protégeraient du réchauffement de la planète. Moi je dis que les arbres se défendent très bien tous seuls et je le prouve : juste avant Noël 2004 un arbre que je voulais abattre m’a cloué au lit et, ce qui est encore moins banal, a cloué le médecin dans le même lit que moi.
            C’était donc, d’après les gens compétents, la descente de la sève et il était temps pour moi d’abattre le bois pour la charpente du palais. J’achetai donc cinq chaînes de tronçonneuse, nettoyai le filtre à air de ma Stihl 026C et me présentai au pied du beau Douglas qui présentait un vice incorrigible puisqu’il était courbé à la base. Le scieur m’avait dit qu’il « ne valait pas le coup de tronçonneuse ». Je m’étais dit tiens, on verra ce qu’on verra.
Les arbres ont été plantés serrés à Montpoulet et il est difficile d’en abattre un sans qu’il reste accroché à ses voisins, un peu comme une famille retiendrait l’un des siens qu’on voudrait enlever. Bien que j’en sois prévenu par quelques déboires passés, c’est ce qui m’arriva là. J’essayai plusieurs fois de secouer l’arbre en utilisant un tourne-billes mais rien à faire. Je revins le lendemain avec Françoise, m’énervai à nouveau sur le tourne-billes et quand je me baissai au pied d’un deuxième arbre que je devais abattre pour qu’il ne retienne plus le beau Douglas, je ressentis comme un craquement dans les lombaires, mais sans douleur. Je ne le mentionnai même pas à ma très chère.
            Françoise devait me prévenir lorsque le beau Douglas frémirait en sentant céder sous lui celui qui le retenait et que j’abattais. Elle se tenait à distance respectable et évidemment, lorsqu’elle hurla que le beau Douglas me tombait dessus, à cause du moteur de la tronçonneuse, je n’entendis absolument rien. Elle paniqua et m’envoya des bouts de bois. Je n’en vis absolument aucun, trop absorbé par ma ligne de coupe.
 
            Bon, pas de panique, le beau Douglas ne m’est pas tombé dessus. Mais j’avais maintenant trois arbres à couper en tronçons et à débarder. Je ne m’arrêtai qu’à la nuit tombée, les lombaires sensibles mais sans plus. Le lendemain dimanche par contre, j’expérimentai la plus atroce douleur de ma vie lorsque je cherchai à quitter le lit. La moindre esquisse de mouvement tétanisait mon dos à la manière, je suppose, d’un courant de haut voltage. Il me fallut une bonne demi-heure pour m’approcher du bord du matelas pour… uriner dans une bouteille. Je dus donc accepter que Françoise appelle le médecin, ce qui ne m’était pas arrivé depuis quarante ans. L’homme de science était en déplacement (un cas d’empoisonnement au gaz des choristes de la messe de minuit à Pailharès, cela ne s’invente pas !) mais il promit de venir dès que possible.
 
            Ce fut seulement vers 16 heures. J’étais encore cloué sur ma couche comme un papillon sur la planche d’un collectionneur. De fait, notre lit est en planches. Elles-mêmes clouées à une structure de rondins de châtaignier boulonnés aux pannes du toit. Un lit suspendu, donc, auquel nous accédons par deux échelles verticales. Dessous, il y a les armoires. Cela avait beaucoup fait rire nos voisins que nous mettions notre lit sur l’armoire. Le médecin riait aussi, un peu jaune, mais on ne pouvait pas faire autrement, il vint donc s’accroupir à côté de moi dans le lit suspendu, à deux mètres du sol. Il me fit une injection, promit un effet miraculeux dans les prochaines vingt minutes, et se retourna pour descendre. Je le vis alors blêmir. « Je suis sujet au vertige » souffla-t-il. Il entreprit pourtant de descendre face au vide et cela n’y manqua pas, il se crispa soudain, incapable d’aller plus loin, cramponné aux rondins de châtaignier. Là je me demandai s’il allait aussi falloir appeler les pompiers pour sortir le médecin de mon lit.
              C’est Françoise qui fit les pompiers. En lui prenant les chevilles, elle aida l’homme de l’art à se retourner puis à patiemment descendre les échelons. Les Douglas n’avaient qu’à bien se tenir, j’étais en voie de guérison, tout seul dans mon lit suspendu. Mais on pourrait bien tirer une morale de cet épisode : prenez exemple sur le beau Douglas, ne vous laissez pas abattre ! Et clouez sur une planche l’outrecuidant bûcheron qui s’en prendrait à vous.
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(Détail : le contrefort à droite et à gauche le reste de parement interne du vieux mur)
            Et des ossements, un peu plus loin, la pluie en avait découvert d’autres : Un magnifique genou que je m’évertuai à dégager à la petite truelle, en archéologue patient. Puis ce qui ressemblait à des doigts, puis un fémur, puis une autre jambe entière. Pour dégager la suite, sur quoi pesait trop de terre, je dus ramener la mini-pelle et travailler avec tout le doigté dont j’étais capable. Là je mis au jour tout le thorax, côtes bien nettes, les omoplates et enfin le crâne. Très détérioré par le séjour en terre acide. Un peu allongé sur la mâchoire où je prélevai une dent, une énorme dent… de ruminant. Mon esprit cartésien poussa un soupir de soulagement, je n’étais que sur une nécropole animale, et pour concurrencer Thèbes et la Vallée des Rois en Égypte, Montpoulet repassera, mon squelette devait être celui d’un veau.
           Mais au bout de la patte, un pistolet.
            Une patte de veau tenant un pistolet ?!!! Je vous expliquerai la prochaine fois.
 

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23- Enterré là il y a trois cents ans.

Publié le par Les Malaugenoux

Résumé des épisodes précédents : Françoise et Bernard ont racheté en 1994 la ferme de l’arrière-grand-père de Bernard, à Montpoulet, Saint-Victor. Depuis la région parisienne, ils viennent d’abord y passer leurs vacances et débroussaillent. Ils retrouvent la source, découvrent une faune fabuleuse et des paillettes d’or tandis que la configuration cabalistique des fondations de la ruine les fait espérer un trésor. Ils viennent s’installer sur place en 1997. Leur permis de construire est refusé trois fois puis accepté après plusieurs recours, et les travaux vont bon train malgré l’amateurisme de ces « néo-ruraux » (on peut lire les épisodes précédents dans "La Chronique de Montpoulet»)

 

Un dimanche, nos voisins de Piquet nous avaient amené un couple de leurs amis dont le mari, un petit homme rondouillard et jovial m’avait pris à part d’un air de conspirateur. Il ne voulait pas que sa femme le voit. Il avait une sorte de pendule dans les mains et s’était positionné en-dessous du jardin de la Méjou do Vieux, face au Palais Principal.

« Dans cette direction, me souffla-t-il, je sens la mort… Oui, quelqu’un a été enterré là il y a trois cents ans ! »

« Par là », ça tombait bien, j’avais prévu de creuser. C’était la partie basse de l’ancienne ferme où l’on rangeait la charrette, entre deux « établous » à cochon, les « tetchous ». Ce mur, sans doute bâti à la hâte, n’était pas en bon état et il me fallait en consolider la base. Pour tout dire, dans cette partie-là, j’avais le fantasme d’installer un sauna en sous-sol, à même le rocher, sous la dalle de la salle à manger. Pour ne pas mégoter, j’avais même prévu une sortie par le bas : un trou d’eau où l’on plongerait pour passer sous le mur et se retrouver dans le lavoir, pour se rafraîchir.

Pour réaliser ces travaux pharaoniques, et vérifier la clairvoyance de l’ami de nos voisins, la pelleteuse s’imposait. Une « mini-pelle » plus exactement. Mon rêve de gosse. A l’époque, j’étais fasciné par les pelles mécaniques à cause de la rangée de manettes entre lesquelles le conducteur ne devait pas se mélanger les pinceaux. Il devait y avoir une manette pour fermer le godet, une pour l’ouvrir, une pour lever le bras, une quatrième pour le baisser, deux autres manettes pour l’avant bras, une pour la tourelle, et les deux dernières pour les chenilles. Sur les pelleteuses actuelles, seules les deux dernières subsistent. Les autres ont été remplacées par des « joysticks » comme pour les jeux vidéo. J’avais déjà joué en louant des mini-pelles à la journée, et j’avais découvert la formidable puissance de travail de ces petits engins. Ils m’avaient, entre autres, permis d’arracher des souches en une heure ou deux alors qu’à la main, cela prenait plusieurs jours. D’ailleurs cette mini-pelle, nous l’avions achetée pour cela, arracher les souches et effectuer l’immense travail de terrassement nécessité par l’installation d’une pompe à chaleur géothermique.

A la place de la charrette, rien, pas le moindre os, pas la moindre arête. Mon esprit cartésien s’en trouva soulagé. Mais, après la cavité pour sauna, j’attaquai l’excavation, de l’autre côté du mur, d’un futur réservoir destiné à conserver l’eau de pluie. Ce n’est qu’en apercevant deux os orangés, abîmés, sans doute un radius et un cubitus, que je me rendis compte que là où je creusais, de l’autre côté du mur aux fondations douteuses, c’était aussi dans la direction indiquée par le voyant. Mon esprit cartésien retint son souffle.

Il me faudrait revenir avec des outils un peu plus délicats, mais pour l’heure, pas question d’arrêter de jouer avec ma merveille, aussi je m’attelai à remonter la canalisation d’une source secondaire toute proche. Après les tuyaux en fonte, je découvris une tuyauterie en terre cuite dont je jugeai qu’elle devait être contemporaine de la construction primitive. Ces tuyaux de 53 cm de long, la fameuse coudée, emboîtés et cimentés les uns dans les autres, portaient une inscription faite avant cuisson. Je m’appliquai à la déchiffrer comme s’il s’agissait de hiéroglyphes, puisque je me sentais à présent, à la recherche du squelette (peut-être, qui sait, une momie) l’âme d’un Égyptologue. L’inscription indiquait « CLÉMENT NOUVENE PÈRE & FILS Fque de tuyaux coniques et cylindriques BOLLENE Vaucluse »

Ces tuyaux en terre aboutissaient, non pas à un captage comme je le prévoyais, mais à une antique canalisation patiemment construite en pierres plates non cimentées, un de ces « tous » dont Maurice m’apprendra que beaucoup de terres cultivées sont dotées pour drainer l’eau de pluie. Celle-ci remontait bien au-delà d’où je pouvais aller mais, après avoir enlevé les terres cuites, je m’aperçus que le tuyau de pierre avait été préservé par dessous et servait de drainage pour protéger l’ancienne étable des inondations.

Mais du coup, tout à mes recherches archéologiques, j’avais tellement creusé des deux côtés du mur que je ne l’avais certainement pas consolidé. Survint alors un « épisode cévenol » caractéristique des automnes par ici. Quatre-vingt litres au mètre carré en une seule nuit. La moitié de la terre remuée emportée vers le bas… et à contretemps, le lendemain, un vendredi après-midi, un grand badaboum, le mur complètement éboulé, principalement la partie demeurée découverte pour la future baie vitrée mais, et c’était toute l’horreur, en entraînant les soubassements de la nouvelle maçonnerie que j’avais construite, les deux tableaux de l’ouverture et surtout, surtout, ce qui soutenait l’énorme tronc d’arbre courbe que j’avais installé pour soutenir le futur toit, un sorte d’arbalétrier en bois rond, un sapin Douglas que j’avais abattu, fait débarder et transporter puis installé moi-même à grand peine, avec une chèvre et un palan. Et ce vendredi après midi je constatai qu’il avait déjà bougé d’un centimètre en direction du vide.

 

chevrearbaletrier.jpg(mis en place avec chèvre et palan- sur la gauche, en bas de l’ouverture, le mur qui va s’ébouler)

sep0425DSCN0086.JPG

 

nov003-grue.JPG(L’arbalétrier a bougé d’un cm en direction du vide)

Courant chercher des poteaux, des étais et tout ce que je trouvai pour étamper cette superstructure irréelle qui tenait en l’air par l’opération du Saint-Esprit (et, il faut sans doute le reconnaître grâce aux qualités mécanique du ciment fabriqué à Cruas, en Ardèche), je me souviens que je tremblais de peur ; pour la première fois de ma vie peut-être, l’angoisse de voir s’écrouler toute ma maçonnerie me secouait de tremblements. Comment allais-je contrer cette catastrophe, et qu’allais-je découvrir au bout des ossements mis à jour ? Et bien je vous le raconterai la prochaine fois.

 oct87-eboultrou.JPG(Étamper par tous les moyens)

 

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22- J’ai renversé le tracteur trois fois.

Publié le par Les Malaugenoux

Résumé des épisodes précédents : Françoise et Bernard ont racheté en 1994 la ferme de l’arrière-grand-père de Bernard, à Montpoulet, Saint-Victor. Ce n’est plus qu’un tas de pierres recouvert de végétation. Ils débroussaillent, retrouvent la source, découvrent une faune fabuleuse et des paillettes d’or tandis que la configuration cabalistique des fondements de la ruine les fait rêver d’un trésor. Ils obtiennent leur mutation en 1997 et viennent s’installer dans une caravane. Leur première demande de permis de construire est refusée puis acceptée, mais il leur faut déposer une nouvelle demande qui leur est refusée pour risque d’incendie. Devant la preuve qu’il y avait eu une erreur dans l’instruction du dossier, le préfet s’incline mais la DDE rédige alors un permis impossible à réaliser tant les prescriptions sont coûteuses, sauf grâce aux conseils malicieux du Sous-préfet. On peut commencer à gâcher le mortier !

 (Premières publication dans l’Écho des Trois Clochers, 07410 Saint Victor)

Je reconnaissais un peu plus haut n’être qu’un piètre maçon et, promis, je raconterai un jour mes murs éboulés, dont celui qui a fait éclater la piscine. Mais il me faut d’abord, pour respecter un peu la chronologie de la chronique, confier mes débuts chaotiques dans le métier de paysan amateur.

Fatigués des brouettes, nous avons acheté un tracteur. Je l’ai retourné trois fois. Et j’ai survécu pour vous le raconter.

La première fois, c’était un Kubota très usagé acheté à Saint-Félicien mais qui avait dû faire le bonheur très longtemps d’un oriental agriculteur. C’était l’époque où je rebâtissais le muret de pierres sèches qui délimite le chemin au dessus de la maison et en dessous de notre caravane de chantier. Prévu pour des charrettes PR (pente raide) à petit empattement, le chemin était trop étroit pour une voiture. Il fallait repousser le mur d’un mètre et je me débarrassais de l’argile en trop pour élargir le « Virage de l’Inca » juste au-dessus de la « méjou do vieux » où il manquait encore le toit. Ce devait donc être en fin de siècle, en 2000.2000-tracteur01.JPG 

J’utilisais donc le tracteur et sa benne, bientôt en délicate posture, avec les deux roues droites bien trop engagées dans la descente pour qu’elles s’en sortent. Pas besoin de câble cette fois, me dis-je, puisque je peux maintenant amener la voiture. J’attelle avec la chaîne de débardage et fais deux essais. A chaque fois le tracteur bascule un peu plus dans le vide. A la troisième tentative, je ressors de la fourgonnette en me disant « tiens, t’as pas mis le frein à main, mais c’est vrai qu’avec la descente dans l’autre sens, elle risque pas d’être entraînée par le tracteur ». Et à peine je touche le tracteur que le voilà qui dévale la pente en direction de la maison… immédiatement suivi par la voiture que j’évite tout juste d’un bond de côté. La voiture s’encastre dans un cèdre que la providence avait planté là, pour protéger la maison des chauffards sans doute, et, retenu par la chaîne, le tracteur se retourne plus bas et se met à cracher son huile. Je me précipite pour couper le moteur, pas facile, la manette des gaz est dessous.

Et puis j’appelle au secours le voisin Maurice, notre ange gardien, qui arrive bientôt avec son tracteur (un vrai, un gros) et qui s’indigne que je sois en train de prendre des photos du spectacle : la voiture autour du tronc du cèdre, le tracteur roues en l’air et le total suspendu au-dessus de la maison en reconstruction.

 

2000-tracteur02.JPG

 

2000-tracteur03.JPG

 

 

Maurice remonte très facilement le tracteur, mais pour la voiture, ça coince sur la souche d’un autre cèdre que j’ai abattu et il faut faire passer le câble autour d’un troisième.

 

2000-tracteur04.JPG

 

Comme ce n’est pas la première fois que je manque verser avec le tracteur, Françoise me persuade d’en acheter un neuf qui soit doté d’un arceau de sécurité. C’est un bel Iseki mais c’est, ah l’ironie du sort, à cause de son arceau que je renverse le tracteur à nouveau, et cette fois moi avec.

Il y a, enfin, il y avait, puisque l’accident a signé son arrêt de mort,  sur la voie du sud, en direction de Lionneton, un pin sylvestre qui penchait sur le chemin. Pas assez pour m’empêcher de passer avec le vieux tracteur sans ralentir. Mais avec le neuf, tout juste deux jours après l’avoir reçu, je fais attention à ce que l’arceau, pourtant à demi replié, ne soit pas bloqué par l’arbre, je regarde donc bien l’arceau en passant et… je ne regarde pas le chemin. Sauf quand je sens l’engin pencher à son tour vers le vide. Tout va très vite, l’avant du tracteur percute un jeune frêne, ce qui accentue le retournement, je suis projeté dans les ronces et j’ai juste de temps de penser « maintenant je vais prendre une tonne sur la tête » quand je vois passer l’engin à côté de moi. J’ai roulé tout droit, mais le tracteur, à cause de l’arceau replié, roule en biais, m’évite et va se bloquer sur une petite terrasse en contrebas.

Ce qui m’envahit, c’est l’immense honte d’avoir renversé l’engin tout neuf. Je remonte donc à la maison chercher câble et tire-fort, je ne dis mot, et parviens, au bout d’une bonne heure d’efforts, en utilisant successivement plusieurs arbres pour y attacher le câble, à remettre le tracteur sur ses roues. Il ne reste plus qu’à laisser l’huile se remettre en place, cela tombe bien, c’est l’heure du déjeuner où personne ne remarque mes jambes et bras égratignés. Une heure encore plus tard, le tracteur redémarre sans difficulté, bien dans la pente dont je le fais sortir par le bas.

 

                Le troisième retournement est beaucoup plus récent, il date de 2009, un été où j’ai frôlé la mort deux fois. La mort a la peau fine, douce et soyeuse, peut-être même duveteuse : je ne l’ai pas sentie du tout. Ce n’est qu’après sa caresse que j’ai senti le soufre et l’encens.

Sa première passe fut un coup de foudre. Lors d’un des orages du mois d’août, je profitais de l’intempérie pour affûter mes chaînes de tronçonneuse. La meule est électrique, je l’avais branchée sur une prise sans terre. La terre jalouse me l’a rendu. Le choc s’apparentait à la châtaigne qu’on peut expérimenter à loisir en mettant deux doigts dans une prise. Mais à puissance dix, environ… C’est mon hurlement qui a alerté Françoise. Comme il coïncidait avec l’éclair et que le tonnerre en était le point d’orgue, elle s’est précipitée en craignant ne trouver qu’un tas de charbon. Utile en période de barbecue. Mais pas du tout, puisque je vous parle. J’avais juste les bras qui tremblaient et très mal, mais alors là très mal à la tête, un peu comme après une cuite mais… puissance dix, environ.

La mort m’avait allumé, restait à consommer je suppose. Elle m’a donc fait renverser le tracteur quelques jours plus tard. Tout fut de la faute d’une vieille souche de sapin Douglas, abattu il y a pourtant dix ans, mais pas complètement digérée par les fourmis. Quand il a importé le Douglas fir en Europe, Douglas, le Sir, a omis d’en importer le parasite, c’est ballot. J’étais en première rapide, l’endroit était familier et ne présentait pas de danger excessif,

(vous avez remarqué que dans les endroits les plus dangereux on fait tellement attention qu’on n’a pas d’accident, et que donc, ah l’ironie du sort encore, ce sont les endroits les plus dangereux qui sont les moins dangereux,)

… c’était mon dernier chargement de pierres, j’allais mettre l’engin au calabert, j’étais sans méfiance. La mort adore cela sans doute. Jusqu’au bout d’ailleurs, je n’y ai pas cru. « Non, je ne suis pas en train de verser, mais non, c’est pas possible». Jusqu’au bruit sourd des six quintaux dans les ronces. Prisonnier des épines, hébété, je restai à me dire que non, les six quintaux finalement, je n’allais pas les prendre sur la figure, merci à l’arceau,  et ne vis pas le moteur qui se mit à fumer puis cala. La mort dépitée eût alors une odeur de gazole et d’huile de vidange.

Pour remettre l’engin sur pieds, j’avais maintenant une mini-pelle qui avait sans doute été à l’origine du premier éboulement dans la maison en construction, mais je vous raconterai cela la prochaine fois.

 

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21bis - Permis impossible

Publié le par Les Malaugenoux

           Résumé des épisodes précédents : Françoise et Bernard ont racheté en 1994 la ferme de l’arrière-grand-père de Bernard, à Montpoulet, Saint-Victor. Ce n’est plus qu’un tas de pierres recouvert de végétation. Ils débroussaillent, retrouvent la source, découvrent une faune fabuleuse et des paillettes d’or tandis que la configuration cabalistique des fondements de la ruine les fait rêver d’un trésor. Ils obtiennent leur mutation en 1997 et viennent s’installer dans une caravane doublée d’un auvent. Leur première demande de permis de construire est refusée puis acceptée, mais il leur faut déposer une nouvelle demande qui leur est refusée pour risque d’incendie. Devant la preuve qu’il y avait eu une erreur dans l’instruction du dossier, le préfet accepte de s’incliner. Mais c’est la DDE qui rédige un permis finalement impossible à rédiger tant les prescriptions sont coûteuses ou invraisemblables.

(Première publication dans l’Écho des Trois Clochers, 07410 Saint Victor)

 

            Avant tout cependant et après cette peinture critique de l’ardu chemin que nous avons dû suivre pour obtenir ce qui était bien légitime somme toute, à savoir le droit de restaurer dans ses fondations une maison familiale, peinture que le lecteur aura peut-être trouvée acerbe, je tiens à préciser qu’au fond, il ne s’agit pas d’une critique des fonctionnaires ni même de l’administration. Qu’il y ait des lois absurdes ou contradictoires, qu’il y ait des règlements abscons et des décisions injustes, c’est inévitable et sans doute vaut-il mieux des lois imparfaites que pas de lois du tout, parce qu’alors ce serait la loi du plus fort. Ici, nous n’étions pas les plus forts mais, parce que notre demande était légitime, nous avons finalement obtenu gain de cause, et ce grâce à des élus attentifs et à des fonctionnaires zélés, certains peut-être trop zélés, mais tous animés de bonnes intentions, nous n’en avons jamais douté.

 

            Particulièrement animé de bonnes intentions ce « secrétaire général » de la Préfecture (il a rang de Sous-Préfet) qui nous téléphone le 31 décembre 1999 au soir, peut-être avec déjà quelques bulles dans le nez, pour nous expliquer comment interpréter à notre guise le fameux permis impossible aux prescriptions ahurissantes.

« On vous demande d’enfouir les réseaux mais la DDE a cru bien faire en rappelant en dernière page, vous y êtes, regardez, en rappelant les coûts des deux solutions, en aérien et en souterrain. S’ils donnent les deux options, légalement, c’est qu’ils annulent leur précédente prescription, vous me suivez ?

    Je vous suis.

    Deuxième problème, le chemin d’accès et cette histoire de tronçon numéro deux à mettre aux Normes Engins… Existe-t-il un document officiel qui numérote les tronçons ? Non ? Et bien il vous suffira d’inverser l’ordre de la DDE et d’appeler « numéro deux » le tronçon qui est déjà aux normes. Vous me suivez toujours ?

    Je vous suis et j’admire !

    Pour le troisième problème, l’obligation qui vous est faite d’avoir une piscine, une pompe thermique et des tuyaux, je crois que vous pouvez faire un geste. On n’est pas à l’abri d’une catastrophe…

    Parfaitement, vous savez que nous sommes déjà équipés d’un groupe électrogène ; je veux bien m’équiper contre l’incendie. Et pour faire bonne mesure, nous achèterons même des casques !

    Très bien, envoyez-moi alors un courrier qui précise comment vous interpréterez votre permis et ma réponse positive vaudra autorisation. Et buvez à ma santé, bonne année ! »

 

            L’histoire des poursuites pour diffamation (épisodes 7 et 8) m’avait appris que certaines lois étaient faites pour faire travailler les avocats, ce permis m’apprend qu’elles peuvent être défaites pour laisser quelque loisir aux préfets.

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21- Permis refusé par le préfet.

Publié le par Les Malaugenoux

               Résumé des épisodes précédents : Françoise et Bernard ont racheté en 1994 la ferme de l’arrière-grand-père de Bernard, à Montpoulet, Saint-Victor. Depuis la région parisienne, ils viennent d’abord y passer leurs vacances et débroussaillent. Ils retrouvent la source, découvrent une faune fabuleuse et des paillettes d’or tandis que la configuration cabalistique des fondements de la ruine les fait rêver d’un trésor. Ils obtiennent leur mutation en 1997 et viennent s’installer dans une caravane doublée d’un auvent. Leur première demande de permis de construire est refusée puis acceptée, suite à un recours gracieux appuyé par député et conseiller général, mais il leur faut déposer une nouvelle demande dont ils attendent la réponse très longtemps.

(première publication dans l'Echo des Trois Clochers, 07410 Saint Victor)

 

            Dès les vacances de Pâques 1999, nous commençons quelques travaux d’étayage pour éviter que la ruine ne s’altère davantage. Et un jour Maurice nous prévient « attention, y a une voiture de la DDE qui monte chez toi ». Françoise court pour les accueillir au sommet et parvient à les faire descendre à la ruine. Nous sommes en plein scandale de la Paillote corse brûlée par les gendarmes sur ordre du Préfet parce que sans permis. Nous avons aussi un vague abri aménagé pour cuisiner sur place et Françoise la présente comme son « humble paillotte » au directeur local de la DDE accompagné par son directeur départemental. Les deux hommes paraissent très gênés, et restent évasifs quand je leur fais remarquer que nous approchons du 9 mai, délai ultime au-delà duquel, sans réponse de leur part, nous serions fondés, selon la loi, à considérer le permis de construire accordé tacitement.

            Déjà, j’avais tiqué à une manœuvre dilatoire de son service qui consistait à demander systématiquement après dépôt du dossier, de façon à retarder la date à partir de laquelle court le délai, un sous-dossier concernant l’assainissement. Avertis depuis la première demande, nous avions bien veillé cette fois à le joindre dès le début, ce qui n’a pas empêché la DDE de le redemander. Nous avions répondu en les priant « d’ouvrir la liasse ». J’ai d’ailleurs déjà affiché à l’entrée de Montpoulet le numéro du permis de construire puisque la mairie l’établit de toute façon, que le permis soit accordé ou pas. Le directeur départemental l’a vu bien sûr, et me fait remarquer que ce n’est pas si simple et qu’il me faudra de toute façon attendre un « courrier confirmant l’accord tacite ». Comme quoi la réglementation est écrite en une autre langue que le français puisque « tacite » signifie bien sans réponse, sans confirmation explicite.

            Deux jours après l’expiration du délai, un courrier tombe, effectivement. Mais c’est un deuxième refus, et celui-là n’est pas signé par le maire comme habituellement, il est signé directement par le préfet de Privas, devant qui on a agité l’épouvantail suprême : la sécurité incendie. En gros, on nous reproche d’être inaccessible à la grande échelle des pompiers et de ne pas disposer, à moins de 200 mètres, de deux bouches d’incendie capables de produire un débit de 1000 litres par minute pendant au moins deux heures. C’est surréaliste.

 

            Nous sommes dégoûtés. L’heure étant encore plus grave, nous contrattaquons sur trois fronts. Une offensive réflexe tout d’abord. Nous prévenons la DDE que nous débutons les travaux immédiatement, au double prétexte de l’expiration du délai pour la deuxième demande et que cette deuxième demande était un abus de pouvoir puisque la première demande avait finalement été acceptée. Nous avons les lettres du préfet et du sous-préfet pour le prouver.

            Une offensive de routine ensuite, le tir de barrage habituel : recours gracieux et courriers aux politiques. Et enfin une opération commando qui allait se révéler la plus fructueuse. Nous sommes alors en lien téléphonique avec une responsable de la préfecture qui s’occupe de notre dossier sans avoir le pouvoir de statuer, mais qui semble nous avoir à la bonne et nous donne de précieux bons conseils. Pour l’heure, elle nous apprend qu’il est de notre droit de consulter notre dossier. Nous en effectuons la demande suivant le modèle qu’elle nous communique et par la belle journée du 21 mai 1999, je me rends à Tournon. J’y suis reçu très affablement et l’on met même une photocopieuse à ma disposition. Je n’y avais pas pensé mais cela me permet de collecter deux perles : le caca nerveux de l’architecte conseil qui avoue son incompétence dans une note manuscrite  « je ne peux porter un jugement sur ce dossier où je ne comprends rien » et surtout, surtout, le rapport d’un adjudant-chef des services de secours et d’incendie qui est un salmigondis de textes réglementaires. D’ailleurs, en relisant le dernier paragraphe qui traite des fameuses bornes d’incendie, je m’aperçois qu’au hasard d’un copier-coller maladroit, plusieurs mots manquent et le paragraphe ne veut strictement rien dire… tout en paraissant vouloir dire quelque chose. Et c’est sur ce paragraphe que le Préfet s’appuie pour nous refuser le permis !?

            La nouvelle volée de courriers que suscite ce paragraphe est cinglante, l’occasion est trop bonne. Nous accusons les services administratifs d’avoir trompé le préfet. D’avoir prétendu que le chemin d’accès à la propriété était impraticable alors que nous l’avons fait rénover, facture à l’appui, et alors que nous venons de faire sortir du bois par un grumier et livrer du mélange à béton par un camion de dix tonnes, factures à l’appui. Alors qu’il suffisait par exemple de prendre une carte IGN pour mesurer la pente de ce chemin et la trouver bien inférieure aux 15% dont on l’accuse. Évidemment, nous parlons du chemin d’accès à la propriété, pas des cent mètres qu’il resterait à parcourir aux tuyaux pour atteindre la maison et qui n’inquiète aucun pompier.

            Et c’est encore le député qui bénéficie de la primeur des effets de ces courriers. Le préfet, qu’on devine dans ses petits souliers en le lisant, prétend que le refus n’était qu’une façon de s’assurer que nous prendrions bien les mesures qui s’imposent pour notre sécurité. Tu parles ! Parallèlement, nous l’apprendrons plus tard, des excuses sont présentées au maire pour le cafouillage du rapport du service incendie. Le même adjudant-chef sans doute qui, flanqué d’un lieutenant, vient inspecter Montpoulet pour définir les aménagements incendie qui s’imposeraient.

            Le lieutenant est franc et direct : « c’est la première fois qu’on nous demande cela dans cette partie de l’Ardèche. Y’a jamais d’incendie de forêt ici, mais enfin, puisqu’on nous demande notre avis, c’est avec plaisir.  Ce serait bien que vous ayez une réserve d’eau, une piscine par exemple, en plus du lavoir et du bassin, de laquelle nous pourrions approcher un véhicule léger pour y brancher une pompe. L’idéal aussi, mais ce serait vraiment du zèle, c’est que vous ayez vous-même une pompe thermique et des tuyaux pour vous défendre en attendant les pompiers, enfin moi je dis ce qui serait l’idéal, maintenant, faudrait pas pousser non plus ».

 

            On peut compter sur la DDE pour pousser, cependant. Comme va nous l’expliquer plus tard au téléphone le sous-préfet, c’est quand même « leur » boulot de rédiger les permis. Quand nous le recevons, ce fameux permis, nous constatons que pour rédiger, ça, ils ont rédigé ! Ils s’en sont donnés à cœur joie. Il y a deux pages de prescriptions. Le permis est accordé mais avec obligation d’une réserve de 100m3 (33 camions citernes de pompier !), obligation d’une pompe thermique, obligation de 150 m de tuyaux et de deux lances, obligation d’enterrer les lignes d’électricité et de téléphone, et surtout obligation de redessiner le deuxième tronçon du chemin (sous-entendu entre le sommet et la maison) pour que les virages aient au moins onze mètres de rayon et moins de 15%. C’est l’équivalent d’une interdiction. L’enterrement des réseaux, qui n’est réalisable que par des entreprises agrées par EDF, est d’un coût faramineux ; refaire les virages pour que, puisqu’on applique la réglementation « engins », la grande échelle puisse venir au pied de la maison, revient à éventrer la montagne. Finalement, il n’y a que l’obligation de construire une piscine qui nous paraisse acceptable.

            Pauvre député, il jubilait dans son dernier courrier, il était content de nous dire que finalement c’était gagné. Et bien non, une ultime volée de courrier lui apprend que non, va falloir encore pressurer le préfet. Comment allons-nous nous accommoder de ce permis impossible ? Je vous le dirai la prochaine fois.

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20 - Limousinerie

Publié le par Les Malaugenoux

 Résumé des épisodes précédents : Françoise et Bernard ont racheté en 1994 la ferme de l’arrière-grand-père de Bernard, à Montpoulet, Saint-Victor. Depuis la région parisienne, ils viennent d’abord y passer leurs vacances et débroussaillent. Ils retrouvent la source, découvrent une faune fabuleuse tandis que la configuration cabalistique des fondations de la ruine les fait rêver d’un trésor. Ils obtiennent leur mutation en 1997 et viennent s’installer dans une caravane doublée d’un auvent. Leur première demande de permis de construire est refusée puis acceptée, suite à un recours gracieux appuyé par député et conseiller général, mais il leur faut déposer une nouvelle demande.

              Comme en attendant le résultat de cette nouvelle demande (une simple formalité, pensions-nous) j’avais commencé la maçonnerie, ici aussi en attendant, j’ai envie de vous parler maçonnerie. Suis-je maçon ? Oui un peu, pour des raisons politiques, vous vous rappelez, quand j’étais un jeune con. Quand on milite à l’extrême gauche, il est de bon ton d’être un prolétaire. C’est pour cela que certains se font postier, d’autres paysan dans le Larzac, ou employée de banque. Mais finalement, je ne suis pas plus maçon que le moustachu n’est paysan, ou la gueule d’ange facteur ; c’est juste le temps de faire la révolution, juste le temps d’accéder au pouvoir, comme un Guevara en quête d’(e pouvoir) absolu, un Gandhi assoiffé de sainteté ou un King pressé de plaire aux femmes. Dans mon cas, la politique m’avait vite lassé, il fallait écrire les tracts dans le style CGT, pas question de faire des vers ou même de l’humour, j’ai donc commencé à préférer la maçonnerie.

Et à Montpoulet j’ai découvert que j’étais vraiment fait pour cela, pour faire de la maçonnerie sur un terrain pentu, une sorte de prédestination : j’ai une jambe plus courte que l’autre. Un médecin avait trouvé cela pour expliquer mes maux de dos survenus dès l’adolescence, la bascule du bassin se répercutant dans la colonne. Et quand on a une jambe plus courte, évidemment, on est mieux adapté pour marcher le long d’une pente. A condition bien sûr de n’avoir pas à faire demi-tour.

Ensuite, en remontant les murs de pierre, je me suis progressivement rendu compte que mon coude aussi me prédestinait. J’ai d’abord remarqué que la largeur des murs était d’environ 50 cm, et puis, à force de suer dessus, à force de mêler mon corps à la pierre, j’ai constaté que la largeur des murs correspondait précisément à la distance entre la pointe de mon cubitus et le bout de mes doigts étendus, c'est-à-dire à une ancienne coudée qui variait d’un chantier à l’autre. Et l’ « environ 50 cm », je l’ai mesuré, il était exactement de 52,36 cm.

Et puis, lorsque j’ai voulu monter les murs à angle droit, une erreur comme le lecteur s’en souvient puisque la flèche constituée par les fondations pointe vers le trésor, j’ai appliqué le théorème de Pythagore. Comme le faisait mon père ouvrier maçon. Comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, mon père faisait du Pythagore sans en avoir jamais entendu parler ; il appelait cela le "système 3-4-5". C'est-à-dire que si l’on trace, à partir d’un angle, quatre mètres d’un côté et trois mètres de l’autre, les points obtenus doivent impérativement être à 5 m l’un de l’autre pour que l’angle soit droit. Pythagore disait pareil, mais de façon plus compliquée : "le carré de l’hypoténuse, jouez trompettes et cornemuses, est égal à la somme des carrés des côtés", comme le lecteur l'a appris à l'école j'en suis sûr. N’ayant pas la place de mesurer quatre mètres, j’ai voulu réduire les côtés à 1 et 2 m. L’hypoténuse, alors, aurait dû être la racine carrée de cinq (1x1 + 2x2). J’ai donc calculé et j’ai trouvé 2,236 et j’ai remarqué qu’en ajoutant tous les côtés de ce nouveau triangle, j’obtenais 5,236 ; ma coudée en décimètres !

 

         Je commençais là à entrer dans un domaine ésotérique qui me donnait le frisson. J’essayai toute sorte de calcul et quand je multipliai par exemple la longueur de ma coudée par 6, j’obtins 3,1416, le nombre Pi ! La fièvre me saisit, j’essayai encore et quand je divisai par deux ma coudée moins le grand côté, j’obtins, sonnez cornemuses et fifrelins, le Nombre d’0r, 1,618 !!!

Alors là j’ai dû m’asseoir et faire le point : j’ai une jambe plus courte que l’autre, bon, passe encore, mais que mon coude corresponde à la largeur des murs et que ma coudée  ait des relations intimes avec Pi et avec le Nombre d’Or, c’était beaucoup trop pour un seul homme.

 

Mais je me suis dit que cela pouvait être un indice supplémentaire pour trouver le trésor et je me suis lancé dans la maçonnerie à corps perdu, si l’on peut dire. Mais alors attention, pas n’importe quelle maçonnerie, la vraie maçonnerie, la « limousinerie », ou la maçonnerie de pierre à l’ancienne, du temps où les maçons venaient presque tous de la Creuse, dans le Limousin.

La maçonnerie pour moi ce n’est pas fabriquer un moule pour y couler un produit industriel que vous livre le camion toupie, ce n’est pas empiler au cordeau des éléments préfabriqués achetés au supermarché. C’est, comme le fait si bien l’hirondelle ou la guêpe maçonne, assembler des éléments de la nature prélevés dans l’environnement immédiat et les assembler un à un de telle sorte que rien n’indique au début du travail ce que sera le résultat final, rien, sauf dans l’esprit du maçon.

Le limousinant est donc le maçon qui bâtit avec des pierres. Ses pierres sont ses mots. Il en a des milliers à sa disposition, de mille formes différentes, et des millions de combinaisons possibles. Monter un mur de pierres, c’est donc comme écrire. La façon dont il assemble ses pierres est le style du maçon. Et tous les maçons n’écrivent pas de la même façon. Il y a par exemple le maçon débutant, le maçon encore illettré qui ne respecte pas les conventions d’écriture et dont l’appareillage souffre de « coups de sabre », sans boutisses liaisonantes, toutes fautes de langue qui à terme mettront en péril la solidité de son ouvrage. Il y a pire, c’est le maçon analphabète chez qui le mortier de ciment sert de colle pour lier artificiellement des mots-pierres qui forment alors des contresens, voire des non-sens et qui ne resteraient jamais ensemble à sec, qui ne veulent finalement rien dire à l'oeil de l'esthète et le privent de son émotion artistique.

 

Ah oui, parce que bien sûr, le grand art en la matière, les meilleurs écrivains maçons vous le diront, c’est la « pierre sèche ». Toutes les terrasses d’Ardèche sont construites ainsi et lorsque les murets soutiennent la terre, aucune faute d'orthographe n’est permise, et il faut connaître sa grammaire sur le bout des doigts. Certains sont de vrais chefs d’œuvre qui maîtrisent la métaphore, la parabole et le monologue intérieur. Evidemment, tous les effets de style ne sont pas possibles selon le type de pierre qu’on emploie. Il s’agit là véritablement de langues différentes. Ecrire le granite de l’Ardèche verte prête à moins de modes narratifs que le calcaire de l’Ardèche méridionale. Par contre, comme il est plus difficile à manier, beaucoup plus dur à tailler, le plaisir d’en créer une pleine page qui tienne debout est plus vif, la fierté de conclure son ouvrage par une voûte plein cintre borde au sublime, et bâtir en granite, c’est travailler pour l’éternité, c'est un avant-goût d'immortalité !

 

Mais voilà que je vous parle de la maçonnerie sur un ton prétentieux alors je ne suis qu'un bien piètre maçon, incapable de garder l’aplomb bien haut, ou le niveau bien loin. Et j’aurai même souvent à Montpoulet l’impression de donner dans l’art éphémère puisque plusieurs murailles que je bâtirai à sec s’écrouleront orage après orage. Mais je reviendrai vous parler plus tard de mes déboires en maçonnerie, car avant de bâtir, il m’en faut l’autorisation. Pour l’heure, revenons au permis de construire, qui va nous être encore refusé, comme je vous le raconterai la prochaine fois.

 

  

 Quelques exemples d’appareillages en granite à Saint-Victor :

Appareillage d’assises régulières, style professionnel mais sobre, détail :

Coups de sabre (apparents, sinon réels) en haut.

Style beaucoup plus brouillon, non sans poésie, travail d’amateur sans doute…

Fausse pierre sèche aux multiples effets de styles, du gros mot à la métaphore d’ouverture à effet d’arc de décharge, avec conclusion en voute de pierres brutes :

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19- (Il n’est pas) Permis de construire

Publié le par BMx

 

           

              Pour monter notre dossier de permis, nous avions fait appel à un entrepreneur de maçonnerie qui avait fait le déplacement en compagnie d’un jeune architecte stagiaire. Nous apprendrons plus tard que la visite (les pierres émergeant à peine des broussailles, le chemin même pas accessible à un véhicule léger) avait persuadé l’entrepreneur que nous n’y arriverions jamais. Le jeune architecte par contre s’était enthousiasmé pour le projet et nous avait proposé de superbes idées. Il avait conçu, pour le petit bâtiment, une idée géniale qui mêlait le bois à la pierre, et rebondissait sur l’état actuel de la ruine, comme éventrée par une explosion, pour en augmenter la surface par des excroissances vitrées un peu à la façon des « bow windows » des maisons anglaises. Malheureusement, je ne me sentais pas de taille à réaliser le travail. Il me fallait de la maçonnerie simple et traditionnelle, le bois m’était complètement étranger.

            Tellement étranger que je n’aurais pas su à mon arrivée ici distinguer un frêne d’un alisier ou d’un sorbier. Mon ignorance s’étendait au bois de chauffage et m’a valu une honte cinglante. Ma grand-mère habitait toujours le village proche de Navas et se chauffait toujours au bois, avec un foyer à même le sol de sa cuisine, comme cela se pratiquait depuis des… millénaires. Elle trouvait difficilement à s’approvisionner et lors de ses visites à Montpoulet, elle ne manquait pas de faire remarquer que tous les pins que nous avions abattus pour ouvrir les chemins (et qui, d’après Maurice, « ne valaient même pas le coup de tronçonneuse »), et bien selon elle, « il y en a qui s’en contenteraient bien pour se chauffer ». Je lui apportai donc ce que je pouvais transporter en voiture, pêle-mêle, sans trier.

J’avais pourtant bien intégré sa leçon en matière de bois de chauffe : « Mémé, quel est le meilleur bois pour se chauffer » lui avais-je demandé un jour en pensant « quelle essence de bois, est-ce le frêne, le fayard ou quoi ? » et elle m’avait répondu, en ménageant son effet, toute paysanne rusée qu’elle était : « le meilleur bois pour se chauffer, mon petit, et je peux te le dire puisque j’ai brûlé du bois toute ma vie, et bien, c’est le bois… sec ! ».

            Et je lui en avais donc apporté du bois sec, très sec, qui était au sol depuis longtemps. Et m’était revenue indirectement la réflexion selon laquelle je me serais moqué d’elle en lui apportant du bois sec, soit, mais pourri. Une deuxième leçon en quelque sorte.

 

            Le jeune architecte s’était donc remis à la tâche et s’était occupé de tout le dossier. J’avais rajouté un petit couplet sur la ténacité légendaire des Ardéchois, ténacité dont nous nous faisions fort d’hériter pour remonter la ruine. Et d’un autre couplet sur « Montpoulet, patrimoine familial et patrimoine ardéchois » grâce à Geneviève, la secrétaire de mairie, qui avait dégotté l’ancien cadastre qui prouvait qu’il y avait là, jusqu’en 1968, deux vraies maisons soumises à l’impôt foncier. Nous pressentions bien sûr que la transformation d’alors, par destruction des toits, du « bâti » en « plantation » allait nous valoir quelques problèmes. Pleins d’entrain malgré tout, nous avions poussé le zèle, l’architecte jusqu’à donner la référence des tuiles dont nous couvririons les toits, de l’Oméga 10 « vieux toits », et nous jusqu’à faire à nouveau analyser notre eau de source.

            La première analyse, juste après le curage de captage en 1994, avait donné un résultat tangent, le laboratoire indiquant qu’il était déconseillé de donner à boire cette eau à des nourrissons. Cette fois-ci, par précaution, nous demandons l’analyse de deux échantillons. Le premier, étiqueté « source principale », est en fait de l’eau de source vendu en bouteille, et le deuxième, étiqueté « source de l’Ubac », provient en fait de la source principale. Les deux reviennent attestés « conformes à la réglementation des eaux de distribution publique », ouf, mais en regardant bien les détails de l’analyse, nous nous rendons compte que notre source est plus encore plus pure que l’eau du commerce.

            En pure perte hélas. La réponse est rapide, notre permis est refusé. L’inspecteur de la DDE n’a vu qu’une chose lors de sa visite et il me l’explique au téléphone : « Vous savez, on a l’habitude, quand il n’y a plus de toit depuis plusieurs années et que des arbres ont poussé sur les pierres, c’est que la maison n’existe plus. Votre demande équivaut à construire une maison neuve en pleine nature au sommet d’une montagne, et j’ai été bien gentil de ne pas verbaliser le stationnement des caravanes ».

            Nous résolvons d’abord ce dernier problème. Françoise, au moment où je termine ma conversation avec le fonctionnaire de la DDE, revient de visiter une maison à louer à St Félicien. Ce qui m’y plait par-dessus tout, c’est qu’elle est chauffée au bois. Voilà de quoi m’aguerrir à la pratique et ne plus confondre bois sec et bois pourri. Et avec cette nouvelle adresse de vraie maison conventionnelle, nous obtenons le permis de… camper sur nos terres.

           

Pour l’autre permis, le gros le vrai, l’heure est grave, il va falloir batailler ferme. Nous commençons par écrire à tout ce que nous connaissons comme élus locaux. Conseiller général et député nous assurent de leur soutien. Celui du député va se révéler particulièrement précieux dans la mesure où le préfet répond personnellement à ses courriers (et pas aux nôtres) et où son attaché parlementaire, très zélé, nous transmet systématiquement copie des courriers du préfet comme du sous-préfet. Même ceux qui, manifestement, n’auraient pas dû échapper à la sphère des puissants. Et cela nous sera très utile.

            Mais nous n’en sommes qu’au « recours gracieux » suite au premier refus. Cela donne très vite ses fruits et, autour de Noël 1998, le Maire de St Victor et ses deux adjoints viennent nous annoncer, en toute sympathique jovialité, que l’affaire est faite, que le sous-préfet de Tournon, monté tout spécialement pour régler l’affaire identique d’un jeune couple de voisins, avait décidé de se montrer magnanime en réglant également le nôtre. Cela sera confirmé par le fameux courrier que nous n’aurions jamais dû avoir, et où le représentant de l’état, s’adressant au député, commencera par reconnaître que notre « reconstruction du bâti pourrait être tolérée » puis, « après examen approfondi du dossier, considérant (…) qu’il est préférable de maintenir des habitants dans une zone rurale fragile » et de nous « délivrer un permis de construire ». Chaque mot, on le verra, comptera. Nous trinquons donc à la visite fructueuse du sous-préfet aux champs.

            Le seul hic, c’est que la DDE nous demande ensuite de déposer une nouvelle demande pour que le dossier, qui ne bute maintenant plus sur un refus de principe, puisse être « instruit » comme c’est le cas habituellement. Nous nous exécutons en toute confiance, loin de nous douter que la DDE allait s’acharner et trouver un moyen subtil pour que cette deuxième demande de permis soit également refusée, et par la plus grande autorité du département. Quel moyen ? Je vous le dirai la prochaine fois.

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16- Il manquait la moitié de chez nous

Publié le par BMx

 

            Un soir de décembre, lorsque nous sommes rentrés chez nous, la moitié de chez nous avait disparu. Le vent du midi avait soulevé, soulevé l’auvent jusqu’à finalement le faire passer par-dessus la caravane. Il avait alors emporté toutes nos affaires. Françoise est allée récupérer le linge dans les branches des sapins et je n’ai retrouvé certaines de mes chaussettes que le lendemain matin en repartant, sur le chemin vers St Victor. C’était désolant. Un peu comme si, dans une maison éventrée par une bombe, la cuisine se retrouvait à l’air libre.

            Nous avions déjà eu des alertes où sous l’effet du fantastique vent du midi, nous avions surveillé l’auvent doucement quitter le sol mais jusqu’à présent toujours pour y retomber. Montpoulet est exposé au midi. Très bien protégé du vent du nord, « la bise », et qu’on entend souffler dans les branches de sapins mais qu’on ne ressent jamais. Le vent du midi, par contre, semble même expliquer l’architecture des bâtiments : comme des navires, ils présentent un angle, comme leur proue, aux bourrasques, mais ni leurs façades, ni leurs ouvertures.

            La perte de l’auvent nous persuade qu’il faut retourner la caravane et lui faire, comme les bâtiments, tourner le dos au midi. Nous prévoyons de faire cela le samedi suivant, après nous être assurés du concours d’amis et de proches. Le samedi suivant, il neige à gros flocons, c’est la fin d’un « été indien » exceptionnel. Il nous faut nous résoudre à passer le plus dur de l’hiver avec la porte de la caravane qui ouvre directement sur le froid. Nous avons un poêle à gaz mais comme nous l’éteignons en nous couchant, les réveils sont difficiles. Nous avons une convention. Il fait moins cinq, moins six quand je me lève pour allumer le poêle et Françoise se lève à plus cinq, plus six, quand je me recouche. Il n’a jamais fait moins dix heureusement, ce n’est pas un hiver très froid, pas beaucoup de neige et jamais de burle sinon, à cet endroit-là, nous aurions été complètement ensevelis.

            Nous pouvons enfin retourner la caravane et, pendant les vacances de février, je construis un auvent en bois. C’est à ce moment-là que les gendarmes m’ont trouvé.

            Aux dires de Maurice et Denise, ils étaient déjà venus quatre ou cinq fois, mais en vain. « Oui, on aime bien savoir qui vient s’installer dans notre juridiction » me dit le grand gendarme à moustaches. L’autre gendarme est une… gendarmette. Mais tous les deux sont tout sauf chaleureux. Ils acceptent mon invitation à entrer s’asseoir mais refusent toute boisson comme s’ils craignaient que je les empoisonne. Ils veulent simplement connaître mon état-civil et ma position vis-à-vis du service militaire.

            — Mais, à la gendarmerie de Privas, je suis fiché, vous leur avez pas demandé ? !

            Cela paraît les laisser complètement indifférents. Mais je leur raconte quand même. Je suis assez fier de mon passé militant. A l’époque, j’étais un jeune con à qui on avait fait croire qu’on pouvait se passer d’armée ou de centrales nucléaires. J’avais donc encouru les foudres de la justice pour un certain nombre d’actions toutes complètement non-violentes (j’étais un jeune con pas méchant !) qui m’avaient notamment amené à fréquenter la prison de Valence, « avenue de Chabeuil », pendant cinq jours. Le jour où j’ai été libéré, après grève de la faim et tutti quanti, demeure toujours dans ma mémoire comme un des plus beaux jours de ma vie. Bernard, un repris de justice ? Il faudra que je vous raconte cela un jour, et pourquoi pas la prochaine fois ?

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15- Déménagement à haut risque

Publié le par BMx

 

            Entre le dernier épisode et celui-ci, il s’est passé comme un coup de théâtre. L’hypothèse selon laquelle les fondations de la maison, non parallèles, pointeraient vers un point de fuite où l’on aurait enterré un trésor, s’est trouvée subitement confortée par une extraordinaire révélation contenu dans un ancien document d’église. Il me faut donc, en m’excusant auprès du lecteur qui n’aime pas bien qu’on le bouscule dans l’ordre chronologique, faire un bond au moment même où j’écris ces lignes, c'est-à-dire neuf ans après le moment où était arrivée la chronique.

            Il me faut d’abord expliquer qu’à cette époque-là, nous avions trouvé à Saint-Victor une association culturelle qui faisait l’admiration de tous. De ma grand-mère d’abord qui m’avait demandé de l’emmener à l’exposition annuelle de cette association appelée Chantelermuze. Cette association avait collecté les photos de classe des écoles primaires pour en faire une exposition et une brochure. Elle est à l’origine de nombreuses activités dans le village mais la principale est bien la mise en valeur du patrimoine local, ce qui passe par la collecte de documents anciens. L’un d’eux est tout particulièrement édifiant. En 1777 en effet, le curé de Saint-Victor estima qu'il avait trop à marcher pour aller donner l'extrême-onction dans tous les lieux-dits de la paroisse (une des plus étendues du diocèse) et il demanda un vicaire. Les autorités ecclésiastiques ordonnèrent une enquête et l'on mesura précisément combien il fallait de temps pour rallier à pied chaque hameau à partir de l'église. Cela donna lieu à un document fabuleux qui révèle non seulement que la maison principale de Montpoulet est à 24 minutes de l'église, que la "méjou do vieux" où nous habitons est à 28 minutes (quatre minutes pour dix mètres, sans doute en rampant !) mais qu'il y avait une autre maison deux minutes plus loin, déjà inhabitée, appelée Gompaloup et complètement inconnue et invisible jusqu'à maintenant. C’est sans doute donc vers Gompaloup que pointent les murs non parallèles. Un endroit où nous avons effectivement repéré des murets très étonnants, de construction circulaire comme pour abriter un jardin où nous avons découvert, sans y croire, des figues de barbarie. Serait-ce le jardin des Hespérides ?

            Mais revenons à l’ordre chronologique, c'est-à-dire à 1997 et à notre déménagement depuis la région parisienne. Nous avons loué un petit camion qui ne nécessite pas de permis spécial. Nous avons choisi le plus gros, capable d’emporter vingt mètres cube. Je n'avais bien sûr jamais conduit un tel véhicule. L'astuce du vendeur était de faire croire que seule la capacité comptait, puisque, après tout, un déménagement, ça se facture au volume. J'allais apprendre à mes dépens que ce n'est notamment pas le critère légal le plus important. Pour le moment, il me fallait gérer le volume, c'est à dire le grand déport à l'arrière. Ce qui veut dire, pour les autres néophytes comme moi, que lorsque vous tournez le volant à droite, l'arrière du camion part... à gauche ! Déjà, en garant l'engin dans l'allée de notre pavillon à Marly-la-Ville, j'avais éraflé un des piliers du portail, le pilier droit. J'avais chargé tout le samedi, et le dimanche matin, j'ai voulu sortir le petit camion de vingt mètres cube de l'allée. J'ai bien surveillé dans mon rétroviseur droit que le pilier était dépassé et alors, alors seulement, j'ai donné le coup de volant à droite pour me mettre dans la rue. Je me suis garé un peu plus loin et, en descendant, j'ai tout de suite remarqué, dans le flanc du camion, comme un énorme trou dans l'aluminium. Tiens, je croyais pourtant qu'hier, il n'y avait pas la moindre éraflure! Un coup d'oeil au portail et j'ai compris : le pilier gauche était carrément par terre ! Le fameux déport !

            Et puis tout de suite, un autre détail attira mon attention : les pneus paraissaient sous-gonflés, complètement écrasés. C’est vrai que j'avais d'abord chargé tout ce qui était papiers et livres, et notamment les deux mille et quelques invendus de nos récits de voyage. Mais quand même, pour que les pneus soient écrasés comme cela, c'est certainement qu'ils ne sont pas assez gonflés. Nous nous arrêtons dans la première station-service. Déjà la moindre bosse, le moindre caniveau semble triturer le camion au point qu'il geint comme s'il allait se casser en plusieurs morceaux. Je cherche à combien de pression il me faut gonfler. Rien, pas la moindre indication ni sur la carrosserie, ni à l'intérieur. A tout hasard, JE monte la pression jusqu'à trois bars. Les pneus ont tout autant l'air écrasés...

            L'itinéraire d'approche de l'autoroute est un cauchemar tellement le camion paraît souffrir. Dans les virages, on dirait qu'il va se coucher, dans les côtes qu'il va s'étouffer, dans les chocs qu'il va éclater. Heureusement, tout s'arrange avec l'autoroute: sur le plat et tout droit, le camion semble avancer sans peine. Nous sortons à Chanas et nous arrêtons chez ma mère à Bancel, sur la Nationale Sept, pour y entreposer notre bazar en attendant que Montpoulet soit réparé. Le voisin d'en face, un antiquaire, vient nous donner un coup de main à décharger. Il a l'habitude des transports volumineux, lui, et me dessille les yeux : « Tu es en surcharge totale, tu as beaucoup de chance que la police ne t'ait pas arrêté, ils ne t'auraient jamais laissé repartir! Ce n'est pas le volume qui compte finalement, c'est le poids. Et tu atteins la limite des trois tonnes bien avant d'avoir rempli les vingt mètres cubes du  camion, ce que le loueur se garde bien de dire! »


 

        Notre pavillon de banlieue parisienne


           
Nous montons une partie de nos affaires à Montpoulet; il est minuit passé, le clair de lune et la douceur de l'air estival donnent à ce coin de nature presque vierge un aspect paradisiaque. Y établir domicile nous paraît évident, alors que nous n'aurons pour vivre, finalement, qu'une caravane de huit mètres carrés, son auvent et un fourgon aménagé en camping-car. Nous bénéficions d'un été indien qui rend d'autant plus traumatisant l'arrivée brutale de l'hiver. Nous sommes installés sur une plate-forme que nous avons fait faire tout au sommet, un endroit accessible aux voitures alors que la ruine ne l'est toujours pas, près de la boîte aux lettres, mais aussi à l'endroit même où, nous dira ma grand-mère, les congères autrefois duraient jusqu'à Pâques. Un endroit aussi bien exposé à la froide bise du nord qu'au violent vent du midi. Un endroit visible depuis partout alentour : un jour nous recevons la visite d'un lointain voisin. Il voyait, tous les matins de bonne heure, nos phares de voitures s'éclairer à un endroit de la montagne où il savait que personne n'habitait. Il venait donc éclaircir le mystère. Les gendarmes aussi sont venus. Plusieurs fois en vain pendant que nous étions au travail. Ils laissaient de grosses traces de roues dans l'herbe du pré voisin. Quand ils m'ont trouvé, ils ont accepté d'entrer s'asseoir mais ont refusé toute boisson. « On aime bien savoir qui vient s'installer dans notre juridiction » m'ont-ils expliqué avant de relever mon état-civil et de m'assurer qu'à leur avis, nous n'obtiendrions jamais le permis de reconstruire Montpoulet. J'étais pourtant en train de reconstruire notre abri, bien mis à mal par l'arrivée des premières intempéries. Cela avait commencé par de la tempête. Un soir en rentrant chez nous, la moitié de chez nous avait disparu. Je vous raconterai cela la prochaine fois.

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14- Le trésor de Montpoulet

Publié le par BMx

 

 

Il est inévitable, quand on s’attaque à la restauration d’une bâtisse qui date au moins du seizième siècle, de songer à quelque amas de Louis d’or au fond d’une cachette. C’est ce qu’on appelle ici « la biche » pour désigner cette poterie où, souvent, les anciens serraient leurs économies. Le fait est que nous découvrirons bel et bien, construite dans les fondations, une superbe cachette en forme de petit four à pain, opportunément située à l’angle de deux murs et de la crèche (mangeoire) de l’étable. Pour y accéder, il fallait non seulement bousculer une vache, écarter le foin et écarquiller les yeux dans la pénombre, mais il fallait aussi en connaître l’existence, oubliée depuis longtemps puisque personne de ma famille n’était au courant. Ce que nous y trouverons, je vais encore le garder pour moi et aiguiller la curiosité du lecteur vers un autre trésor, à la fois plus hypothétique et plus… cabalistique. En effet, lorsqu’on examine le plan de masse de la grande maison de Montpoulet, la plus ancienne, on ne peut être que frappé de l’absence d’angles droits et de la ressemblance avec une flèche. Les plus longs murs, orientés nord-est/ sud-ouest, figurent les lignes de fuite d’une perspective qui invitent à aller voir leur point de fuite. Il est évidemment très difficile de localiser ce dernier avec précision, mais pourquoi ne pas envisager que le constructeur, en ces temps troublés de guerres de religion (Henri IV n’avait pas sans doute encore signé l’Édit de Nantes), ait d’abord enterré son trésor quelque part dans un chirat (pierrier) et en ait ensuite subtilement indiqué la direction en dessinant une maison comme une pointe de flèche. J’ai bien sûr pensé que les murs, bâtis avec du mortier d’argile, avaient bougé au cours des siècles, et que les angles aigus étaient dus à leur déformation. Mais j’ai vérifié, les pierres d’angles sont bel et bien taillées en angles aigus…

Mais revenons aux paillettes découvertes par Françoise avant qu’une ruée vers l’or ne transforme Montpoulet en San Francisco. Nous avons remonté à Paris une pleine boîte de conserve de ce sable aurifère que la source remonte tout doucement des profondeurs. J’ai appliqué le bout d’un fer à souder sur les paillettes pour les faire fondre et elles n’ont pas fondu. Tonton, pourquoi tu tousses ? Ce n‘étaient pas des paillettes d’or ! Ce n’était pas non plus du sucre en poudre. C’était des paillettes de mica jaune !

Bon, trêve de considérations rêveuses sur notre eldorado. Nous sommes en 1997, nous venons d’obtenir notre mutation pour la région, il va falloir déménager et nous installer… où donc justement ? Nous sommes tellement épris de ces dix hectares de nature que, follement, d’une manière totalement irresponsable, sans imaginer bien sûr les vicissitudes auxquelles nous nous exposons, nous décidons de venir habiter dans une caravane installée au milieu des sapins et des cèdres, sans électricité, sans eau courante, sans chauffage central, sans salle de bains, et illégalement comme nous l’apprendrons quelques mois plus tard.

Sans électricité mais avec téléphone et boîte aux lettres. Il y aura des soirées d’hiver où Françoise attendra que je revienne d’un conseil de classe, la main crispée sur le combiné et les yeux scrutant l’obscurité angoissante des frondaisons. Le téléphone et la boîte aux lettres étaient, on le voit bien, indispensables : de nos jours c’est la seule façon de justifier d’un domicile fixe. Je me souviens de la tête de mes collègues au collège de l’Édit à Roussillon où je fis une année de purgatoire avant d’être nommé à Lamastre, quand ils me voyaient le matin sortir mon rasoir électrique dans la salle des profs, en expliquant que chez moi, y’avait pas d’électricité. Mais y’avait le téléphone ! Le fil courait d’arbre en arbre et cela étonnait bien du monde. A commencer par les employés de France Télécom. J’avais un problème avec la connexion Internet : il fallait la débrancher pour pouvoir téléphoner. Je fis le 13. Une dame me demanda très gentiment quand les techniciens pouvaient venir. Je commençai à donner mon emploi du temps de la semaine d’après mais la dame m’interrompit : « Mais non, c’est pour aujourd’hui, est-ce que dans deux heures vous serez chez vous ? » Pareille diligence me stupéfia ; la région parisienne ne m’avait pas habitué à cela. Je vis bientôt arriver au sommet du col une voiture bleue suivie, et là c’était peut-être en faire un peu trop pour une simple prise récalcitrante, un énorme camion bleu. Deux techniciens en sortirent aussitôt comme frappés par la grâce. « Mais c’est extraordinaire cet endroit ! On savait même pas que ça existait ! Et vous avez Internet ici ? Mais comment ça arrive, le fil il est où ? »

Même diligence pour La Poste. Très embêté de devoir allonger la tournée du facteur, j’avais pris contact avec le receveur de Saint Félicien. Il m’avait dit que le facteur irait voir si c’était possible. En fait je m’attendais à ce qu’on nous dise de mettre notre boîte chez Maurice et Denise, nos voisins au bout du goudron, et je l’aurais très bien compris. Je pouvais  envisager, au mieux, que la boîte aux lettres fût installée au sommet du col. Mais le diagnostic de Fernand, le facteur, me persuada que le service public n’était pas un vain mot en Ardèche, et était de bien meilleure qualité qu’en banlieue parisienne : « Pas de problème pour allonger la tournée, sauf qu’en hiver avec la neige, je suis pas sûr de pouvoir toujours arriver à la maison de l’autre côté du col ! »

Mais trêves de considérations disais-je : il nous faut déménager plusieurs dizaines d’années d’accumulations diverses. Nous louons un petit camion de 20 m3. Sans le savoir nous allons le surcharger et risquer de bien graves conséquences. Pire encore, je n’arrive pas à le conduire comme il se doit et en partant de Paris, je vais démolir l’entrée de notre maison. Mais je vous raconterai tout cela la prochaine fois.

 

La cachette en forme de petit four à pain,
 

et où nous n'avons trouvé que de l'argile. 

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