15- Déménagement à haut risque

Publié le par BMx

 

            Entre le dernier épisode et celui-ci, il s’est passé comme un coup de théâtre. L’hypothèse selon laquelle les fondations de la maison, non parallèles, pointeraient vers un point de fuite où l’on aurait enterré un trésor, s’est trouvée subitement confortée par une extraordinaire révélation contenu dans un ancien document d’église. Il me faut donc, en m’excusant auprès du lecteur qui n’aime pas bien qu’on le bouscule dans l’ordre chronologique, faire un bond au moment même où j’écris ces lignes, c'est-à-dire neuf ans après le moment où était arrivée la chronique.

            Il me faut d’abord expliquer qu’à cette époque-là, nous avions trouvé à Saint-Victor une association culturelle qui faisait l’admiration de tous. De ma grand-mère d’abord qui m’avait demandé de l’emmener à l’exposition annuelle de cette association appelée Chantelermuze. Cette association avait collecté les photos de classe des écoles primaires pour en faire une exposition et une brochure. Elle est à l’origine de nombreuses activités dans le village mais la principale est bien la mise en valeur du patrimoine local, ce qui passe par la collecte de documents anciens. L’un d’eux est tout particulièrement édifiant. En 1777 en effet, le curé de Saint-Victor estima qu'il avait trop à marcher pour aller donner l'extrême-onction dans tous les lieux-dits de la paroisse (une des plus étendues du diocèse) et il demanda un vicaire. Les autorités ecclésiastiques ordonnèrent une enquête et l'on mesura précisément combien il fallait de temps pour rallier à pied chaque hameau à partir de l'église. Cela donna lieu à un document fabuleux qui révèle non seulement que la maison principale de Montpoulet est à 24 minutes de l'église, que la "méjou do vieux" où nous habitons est à 28 minutes (quatre minutes pour dix mètres, sans doute en rampant !) mais qu'il y avait une autre maison deux minutes plus loin, déjà inhabitée, appelée Gompaloup et complètement inconnue et invisible jusqu'à maintenant. C’est sans doute donc vers Gompaloup que pointent les murs non parallèles. Un endroit où nous avons effectivement repéré des murets très étonnants, de construction circulaire comme pour abriter un jardin où nous avons découvert, sans y croire, des figues de barbarie. Serait-ce le jardin des Hespérides ?

            Mais revenons à l’ordre chronologique, c'est-à-dire à 1997 et à notre déménagement depuis la région parisienne. Nous avons loué un petit camion qui ne nécessite pas de permis spécial. Nous avons choisi le plus gros, capable d’emporter vingt mètres cube. Je n'avais bien sûr jamais conduit un tel véhicule. L'astuce du vendeur était de faire croire que seule la capacité comptait, puisque, après tout, un déménagement, ça se facture au volume. J'allais apprendre à mes dépens que ce n'est notamment pas le critère légal le plus important. Pour le moment, il me fallait gérer le volume, c'est à dire le grand déport à l'arrière. Ce qui veut dire, pour les autres néophytes comme moi, que lorsque vous tournez le volant à droite, l'arrière du camion part... à gauche ! Déjà, en garant l'engin dans l'allée de notre pavillon à Marly-la-Ville, j'avais éraflé un des piliers du portail, le pilier droit. J'avais chargé tout le samedi, et le dimanche matin, j'ai voulu sortir le petit camion de vingt mètres cube de l'allée. J'ai bien surveillé dans mon rétroviseur droit que le pilier était dépassé et alors, alors seulement, j'ai donné le coup de volant à droite pour me mettre dans la rue. Je me suis garé un peu plus loin et, en descendant, j'ai tout de suite remarqué, dans le flanc du camion, comme un énorme trou dans l'aluminium. Tiens, je croyais pourtant qu'hier, il n'y avait pas la moindre éraflure! Un coup d'oeil au portail et j'ai compris : le pilier gauche était carrément par terre ! Le fameux déport !

            Et puis tout de suite, un autre détail attira mon attention : les pneus paraissaient sous-gonflés, complètement écrasés. C’est vrai que j'avais d'abord chargé tout ce qui était papiers et livres, et notamment les deux mille et quelques invendus de nos récits de voyage. Mais quand même, pour que les pneus soient écrasés comme cela, c'est certainement qu'ils ne sont pas assez gonflés. Nous nous arrêtons dans la première station-service. Déjà la moindre bosse, le moindre caniveau semble triturer le camion au point qu'il geint comme s'il allait se casser en plusieurs morceaux. Je cherche à combien de pression il me faut gonfler. Rien, pas la moindre indication ni sur la carrosserie, ni à l'intérieur. A tout hasard, JE monte la pression jusqu'à trois bars. Les pneus ont tout autant l'air écrasés...

            L'itinéraire d'approche de l'autoroute est un cauchemar tellement le camion paraît souffrir. Dans les virages, on dirait qu'il va se coucher, dans les côtes qu'il va s'étouffer, dans les chocs qu'il va éclater. Heureusement, tout s'arrange avec l'autoroute: sur le plat et tout droit, le camion semble avancer sans peine. Nous sortons à Chanas et nous arrêtons chez ma mère à Bancel, sur la Nationale Sept, pour y entreposer notre bazar en attendant que Montpoulet soit réparé. Le voisin d'en face, un antiquaire, vient nous donner un coup de main à décharger. Il a l'habitude des transports volumineux, lui, et me dessille les yeux : « Tu es en surcharge totale, tu as beaucoup de chance que la police ne t'ait pas arrêté, ils ne t'auraient jamais laissé repartir! Ce n'est pas le volume qui compte finalement, c'est le poids. Et tu atteins la limite des trois tonnes bien avant d'avoir rempli les vingt mètres cubes du  camion, ce que le loueur se garde bien de dire! »


 

        Notre pavillon de banlieue parisienne


           
Nous montons une partie de nos affaires à Montpoulet; il est minuit passé, le clair de lune et la douceur de l'air estival donnent à ce coin de nature presque vierge un aspect paradisiaque. Y établir domicile nous paraît évident, alors que nous n'aurons pour vivre, finalement, qu'une caravane de huit mètres carrés, son auvent et un fourgon aménagé en camping-car. Nous bénéficions d'un été indien qui rend d'autant plus traumatisant l'arrivée brutale de l'hiver. Nous sommes installés sur une plate-forme que nous avons fait faire tout au sommet, un endroit accessible aux voitures alors que la ruine ne l'est toujours pas, près de la boîte aux lettres, mais aussi à l'endroit même où, nous dira ma grand-mère, les congères autrefois duraient jusqu'à Pâques. Un endroit aussi bien exposé à la froide bise du nord qu'au violent vent du midi. Un endroit visible depuis partout alentour : un jour nous recevons la visite d'un lointain voisin. Il voyait, tous les matins de bonne heure, nos phares de voitures s'éclairer à un endroit de la montagne où il savait que personne n'habitait. Il venait donc éclaircir le mystère. Les gendarmes aussi sont venus. Plusieurs fois en vain pendant que nous étions au travail. Ils laissaient de grosses traces de roues dans l'herbe du pré voisin. Quand ils m'ont trouvé, ils ont accepté d'entrer s'asseoir mais ont refusé toute boisson. « On aime bien savoir qui vient s'installer dans notre juridiction » m'ont-ils expliqué avant de relever mon état-civil et de m'assurer qu'à leur avis, nous n'obtiendrions jamais le permis de reconstruire Montpoulet. J'étais pourtant en train de reconstruire notre abri, bien mis à mal par l'arrivée des premières intempéries. Cela avait commencé par de la tempête. Un soir en rentrant chez nous, la moitié de chez nous avait disparu. Je vous raconterai cela la prochaine fois.

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