Poules polies et poissons empoisonnés
Chaque fois que je lâche les poules, nous entrons elles et moi en compétition alimentaire. Notre Nonce Apostolique, incidemment Garde des seaux marmites et casseroles, étant absente, je dois veiller moi-même à mon alimentation. Et je vise au plus rapide, au plus simple et au plus proche. Exactement comme les poules.
Par exemple, elles raffolent des vers de terre. Elles les aiment tellement qu’elles sont prêtes à prendre tous les risques. Oui, le ver de terre est aux poules ce que le haschich est aux assassins (de l’arabe haschischin), c'est-à-dire que cela leur fait perdre toute conscience du danger. Lorsque je terrasse avec la pelleteuse, elles se glissent sous le godet avant même qu’il soit sorti de terre, et lorsque je veux avancer je dois prendre garde qu’aucune poule ne se soit déjà postée sous une chenille. Et ce n’est pas qu’elles confondraient chenille et chenillette… Cette association pelleteuse-terrassement- ver de terre est tellement inscrite en l’intellect de nos gallinacés qu’il suffit que je mette en marche le moteur de la première pour que les seconds accourent, suivent, ou précédent l’engin. Bon, heureusement, les vers de terre ne m’intéressent pas. Leur goût est très décevant. C’est celui de la terre et je n’ai pas la patience de mitonner des sauces.
Les poules raffolent des fourmis. Moi de leurs œufs. J’en ai trouvé une fois des milliers entre deux tôles ondulées oubliées entre lesquelles elles avaient établi leurs quartiers. J’ai collecté l’oothèque, en ai sorti quelques aiguilles de pin et mis le tout dans une poêle avec un peu d’huile d’olive. Cela avait exactement le goût, en plus discret, en plus subtil, en plus délicat, des œufs de poule ! Il s’agit donc en la matière de leur laisser les pondeuses et de conserver leur ponte.
Non, là où je ne dois rien leur laisser, c’est quand elles prétendent s’attaquer aux nombrils de Vénus. Non pas que la déesse en ait eu plusieurs ; je parle des plantes sauvages que le dictionnaire appelle « succulentes » et la prétendue sagesse populaire « grasses ». Ces plantes ressemblent à des nombrils. Mais les poules raffolent de la verdure, on le sait peu. De vraies herbivores. Qui passent donc allègrement d’un steak de ver à une salade verte. Heureusement que celles-là poussent essentiellement sur les murs en pierre et ma taille me permet de les brouter (brouter des nombrils, ah !) plus facilement que mes concurrentes qui, trés polies, me laissent faire.
Et, rien qu’avec les vers, les vermisseaux, les vermicules, la verdure et l’avènement du printemps, les poules me couvrent d'oeufs.
Voilà pour la première partie du titre. La deuxième est plus sérieuse.
J’ai tué tous les poissons du lavoir. Bien involontairement. En installant une terrasse, une sorte de « deck » en cœur imputrescible de sapin Douglas que j’abats, débarde et débite moi-même, voyez l’allitération. Du bois rouge. Pour ajuster, je rabote et c’est cela qui a tué les poissons. Je veux dire que les copeaux et la sciure sont tombés dans le bassin. Une sciure tout ce qu’il y a de plus naturel, un bois qui n’a connu ni l’engrais, ni le pesticide, ni le fongicide, ni l’insecticide. C’était oublier que la nature est, souvent, tout aussi toxique que les produits chimiques et qui proviennent tous de la nature. La sciure de bois tue les poissons, c’est comme cela, je l’ai appris à mes dépens. Et par « dépens », j’entends cette confusion totale entre naturel, chimique, sain et toxique.