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Pourquoi la vierge noire de Navas est-elle blanche ?

Publié le par Prince Bernard

Non loin de la Principauté de Montpoulet, un lieu de pèlerinage qui date du Xè siècle...

 

      Nous avons un jour organisé pour des amis lyonnais une randonnée qui allait de Navas à St Romain d’Ay et l'avions intitulée « D’une vierge noire à l’autre ». Mais dans la chapelle de Navas la vierge était blanche, alors que quelques heures plus tard, nous trouvions bien une vierge noire dans la chapelle de Notre Dame d’Ay. La longue mais agréable marche depuis quasiment la vallée de la Daronne, jusqu’à la vallée de l’Ay, posait donc deux questions : A- que sont les vierges noires ? et B- celle de Navas en est-elle une ? Je vais tenter de répondre aux deux.

Notre Dame de Navas et Notre Dame d'Ay.Notre Dame de Navas et Notre Dame d'Ay.

Notre Dame de Navas et Notre Dame d'Ay.

     A- De nombreuses théories sont avancées par les historiens, ou pseudo-historiens, pour expliquer la noirceur de ces vierges, presque toutes situées en France : entre 120 selon Émile Saillens en 1933 et 272 selon Marie Durand Lefèvre en 1937, pour seulement quelques dizaines pour tout le reste de l’Europe et le Mexique.

 

     1- Une première hypothèse est qu’elles ont été colorées par la fumée des cierges. Certes, ces vierges étaient exposées à beaucoup de fumée. Celle du Puy l’était à 64 lampes en permanence mais comment expliquer que toutes les vierges n’aient pas été noircies (alors qu’on leur brûle toutes des cierges) et comment expliquer ces vierges déjà noires à leur découverte en terre comme le rapportent souvent les légendes1 .

     

Une variante est qu’elles aient été colorées volontairement. C'est une théorie du XVIIIè siècle pour contrer l’idée qu’il pourrait s’agir de déesses blanches héritées des Romains ou des Grecs, voire, comme pour Notre-Dame de Moulins, pour aider à la conversion des Maures, de façon qu’ils reconnaissent en la Vierge une femme de leur race, une théorie bien tirée par les cheveux. Colorées volontairement ou pas : une théorie scientifique explique que la céruse, coloris blanc utilisé au Moyen Âge, contenant du carbonate de plomb, donne au contact de l’air du sulfure de plomb qui est noir. Mais si c’était le cas, tous les personnages cérusés seraient maintenant noirs, ce qui n’est pas le cas 2.

     

Colorées, enfin, pour satisfaire à une mode : certains suggèrent que devant le succès de certaines vierges noires (les pèlerinages apportent la prospérité là où ils aboutissent), l’on ait volontairement coloré certaines, comme à Marsat, à Clermont-Ferrand ou à Brioude. Dans le même but d’attirer des pèlerins, il y a certainement eu des évolutions inverses, des statues noires qui ont été blanchies et dorées comme à Tournus, Avith et Chappes  3. Cependant c’est sans doute la première hypothèse sérieuse que nous rencontrons, si l’on prend bien soin de ne pas la généraliser.

1Thierry Wirth, Les Vierges noires, Oxus 2009, page 50.

2Idem p.48.

3Jean-Pierre Bayard, Déesses mères et Vierges noires, Éditions du Rocher 2001, p.77.

Notre Dame de Moulins.

Notre Dame de Moulins.

     2- Un deuxième groupe d'hypothèses est que la couleur est due à la matière dont elles sont faites. Que ce soit le bois et ce serait par exemple le cas de la statue d’Artémis à Éphèse, en bois de vigne ou de cyprès et qui serait devenue noire à force d’avoir été huilée1. Que ce soit une météorite ou un aérolithe : d’après Thierry Wirth, une bombe volcanique prend spontanément, par sa fusion en haute atmosphère, une forme conique et boursouflée qui évoque une femme présentant son enfant.

L’hypothèse la plus farfelue se situe dans cette catégorie. Elle est rapportée par Jacques Bonvin2 : elles seraient chargées d’énergie tellurique, ce qui expliquerait à la fois leur couleur et leurs miracles. Cette théorie est reprise par Daniel Castille3 qui invoque la pseudo-science de la géobiologie pour soutenir que la terre est parcourue par un réseau d’ondes dont les nœuds énergétiques correspondraient à des points d’eau, donc à des lieux sacrés, donc à des vierges noires. Jacques Bonvin publie une photo prise de la Vierge d’Orcival, en Auvergne, en 1979. Le développement fit apparaître des zébrures de lumière émanant de la vierge, une bien opportune « preuve » d’énergie. Un ufologue fit remarquer que cela ressemblait aux décrochements de certains ovnis qui atterrissent suivant la technique dite « de la feuille morte ». Si l’on cherchait encore un lien entre apparition d’ovnis et apparition de vierges, en voici donc un de particulièrement croquignolet. Ce genre de théorie illustre l’attrait de la question pour les marchands de merveilleux, de mystères et d’explications irrationnelles, qui malheureusement pullulent pour vendre leur prose et obscurcir le champ de vision d’un observateur honnête.

1Wirth, ibidem p.74

2Jacques Bonvin, Vierges Noires La réponse vient de la terre Éditions Dervy 1988.

3Daniel Castille, Le Mystères des Vierges Noires, JMG Éditions 2001.

Notre Dame d'Orcival en bois de noyer.

Notre Dame d'Orcival en bois de noyer.

     3- Une troisième hypothèse est qu’il s’agirait de vierges rapportées des croisades : comme Notre Dame d’Ay « rapportée par les croisés en 1200 » selon René Saint Alban1. Rapportée donc de Palestine ou de Constantinople, pas d’Afrique Noire ! Cependant le docteur Paul Olivier (L’ancienne statue romane de Notre Dame du Puy, 1921) nous apprend que la vierge du Puy fut conduite au bûcher pendant la Révolution aux cris de « Á mort l’Égyptienne »2, ce qui laisse croire que son visage avait un aspect au moins oriental, ou que la noirceur passait pour un teint hâlé. De même le jésuite Van Steen (1556-1637) en donne pour preuve que l’icône de Sainte-Marie-Majeure de Rome, attribuée à Saint Luc, a un visage noir3. Il en est ainsi de plusieurs icônes exécutées sur bois et dont « le teint très brun ou même noir, est sans doute accentué par la technique de l’encaustique4 ». Une hypothèse coupe cependant la poire en deux : la vierge aurait été fabriquée sur la commande précise d’un croisé de retour, avec un visage oriental, yeux en amandes, teint foncé, comme une sorte de souvenir, suite à un vœu formulé là-bas.

     La plupart de ces vierges noires, n’oublions pas, sont des copies d’ originales que les accidents de l’histoire ont détruites. Ce qui pourrait expliquer qu’une vierge noire, attestée par la tradition comme à Navas, ait été remplacée par une blanche, pour des raisons inconnues.

 

1René Saint-Alban, Guide de l'Ardèche Insolite, Éditions de la Bouquinerie, 1993.

2Témoignage cité par tous les auteurs.

3Wirth, ibidem p. 64.

4JP Bayard, ibidem p. 56.

Notre Dame du Puy (l'ancienne, et l'actuelle, photo Nicolas Debray).
Notre Dame du Puy (l'ancienne, et l'actuelle, photo Nicolas Debray).

Notre Dame du Puy (l'ancienne, et l'actuelle, photo Nicolas Debray).

     4- Laissons donc ces précédentes hypothèses pour examiner celle qui est partagée par le plus grand nombre d’auteurs : une survivance de déesses-mères pré-chrétiennes.

     

      René Saint Alban voit à Notre Dame d’Ay une survivance du culte celtique à Maïa. François Graveline (Vierges Romanes) énonce que « Marie est, pour partie, la réincarnation de la Belisama celte, comme des Minerve ou des Cérès romaines, de la Perséphone grecque, ou de l’Isis égyptienne, elles-mêmes descendantes lointaines des Vénus préhistoriques ». Une filiation illustrée par les exvotos romains trouvés dans la Source des Roches à Chamalières non loin de la vierge noire de Notre-Dame-du-Port. On pourrait ajouter l'anatolienne Cybèle, déesse de la fécondité, noire sous son manteau vert chez les Phrygiens d’Asie Mineure, qui se partageait avec Isis la protection des empereurs romains.

     Toutes déesses qu’on appelait vierges mais pas dans le sens anatomique comme de nos jours. Un mouvement qui s’appelle les Matriciens1 y voit ainsi une survivance de déesses pré-chrétiennes qui auraient été non pas des vierges au sens commun mais des femmes sexuellement indépendantes, ce qui est expliqué par l’étymologie, d’après Tristan Mandon2 : le latin virgo ayant remplacé le grec parthenos : mère non mariée (voyez la même racine dans parthénogenèse). Toutes ces déesses auraient eu des représentations noires.

     Et finalement il n’y a guère d’auteurs qui ne finissent pas par invoquer l’Égyptienne Isis et, après examen, on n'est pas étonné. On dirait même que Isis a servi de modèle pour celle que les Catholiques ont mis tellement de temps à diviniser, au grand dam d’autres églises chrétiennes comme les protestantes. Comme Marie, Isis a un fils sans être mariée, ou plus exactement sans intervention mâle puisque son mari vient d’être assassiné. Elle aurait été fécondée par le feu divin. Elle est presque toujours, en outre, représentée avec son fils Horus sur les genoux et ce serait elle qu’on aurait adorée sous les noms de Cybèle, déesse de la fécondité (noire sous son manteau vert chez les Phrygiens d’Asie Mineure), de Cérès ou même de Diane chez les Romains3.

     La vierge noire du Puy est en la matière la plus riche d’enseignement : elle a été décrite avant sa destruction, par Faujas de Saint Fond qui nous apprend que ses yeux notamment n’étaient pas sculptés mais des enchâssements de lentilles convexes, une technique courante dans les statuettes de l’antiquité, qui laissait passer la couleur de la cavité et devaient, dans la pénombre, beaucoup impressionner les croyants.

     Enfin, selon les Matriciens, la vierge noire du Puy avait l’aspect d’une momie ; les bandelettes qui enveloppaient son corps ainsi que celui de son fils ne laissaient voir que leur visage. Et lorsque on l’a brûlée pendant la révolution, un papyrus est sorti d’une cavité creusée dans son dos, mais qu’on n’a pas pu sauver. Par contre une pierre ovale portant des inscriptions égyptiennes a été retrouvée dans les cendres qu’on avait éparpillées dans les champs pour qu’elles ne servent pas de reliques.4

     Pour conclure sur cet aspect, rappelons que personne ne prétend que l’on ait continué à adorer ces déesses pré-chrétiennes, mais simplement qu’on les a remplacées par la Vierge, aux mêmes endroits, avec souvent les mêmes attributs et les mêmes pouvoirs. On peut évoquer à cet égard comme une coïncidence de dates : les vierges noires dateraient toutes au plus tôt du X° siècle, or Marie, déclarée Mère de Dieu au Concile d’Éphèse en 431 n’est que progressivement ensuite parée des atours de la virginité perpétuelle qui font d’elle l’égale d’une déesse5. Et plutôt que de chercher une théorie qui les expliquât toutes il faut admettre humblement que toutes les hypothèses ont certainement leurs démonstrations et preuves particulières. Á chaque vierge noire sa propre explication, sans doute. Mais qu’en est-il de celle de Navas ?

 

1http://matricien.org

2 Http://racines.traditions.free.fr

3Wirth, ibidem p. 56 & 72.

4 Jean Peyrard, Histoire secrète de l’Auvergne, Albin Michel 1995, p.279.

5 JP Bayard ibidem p.42.

L'artémis d'Éphèse (photo Wikipédia)

L'artémis d'Éphèse (photo Wikipédia)

     B - Wikipedia, l’Encyclopédie en ligne nous dit qu’ « À Saint-Victor, Ardèche, on vient en pèlerinage auprès de la vierge noire de la Chapelle Notre-Dame de Navas (XIè siècle) ». René Saint Alban signale simplement qu’à Naves (l’orthographe varie, souvent Navaz) « Notre Dame de la Délivrance est implorée pour de bonne couches » et que pour ce faire les femmes doivent poser leur pied nu sur une pierre à empreinte appelé Pas de Notre Dame situé à plusieurs centaines de mètres de la chapelle.1

     Cependant, Jean-Pierre Bayard, dans son Répertoire des Vierges Noires par département, pas plus que son maître Jacques Boivin, n’en fait mention et précise bien qu’il n’y a pas de vierge noire à Tournon, alors qu’elles sont incontestables en Andance, à Cornas et St Romain d’Ay pour ne citer que celles du Haut Vivarais.

     Nous terminerons par la mention qui est faite dans la plaquette Croix et petit patrimoine2 : « 1882. Extrait des archives paroissiales. “ La vierge au dessus du tabernacle, statue de modique grandeur en bois noir, d’une sculpture admirable. La tradition la plus accréditée porte à croire que cette image précieuse d’une origine très ancienne nous était venue de la Palestine, léguée à ce sanctuaire par un pieux chevalier des croisades à son retour de la Terre Sainte”. Immédiatement suivi d’un autre extrait contradictoire : “Vierge debout avec l’enfant, bois polychrome blanchi. Hauteur 0,47 m. Source ayant le pouvoir de guérison des maladies des yeux.” » Doit-on en conclure que la vierge de Navas est une vierge noire qui aurait été blanchie ? Il faudra bien en rester sur ce questionnement.

 

1Saint-Alban, ouvrage cité.

2 Association Chantelermuze, 07410 Saint-Victor dont dépend Navas, 2006.

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