Descente aux Enfers, 4- le fond
Il est inévitable, quand on s’attaque à la restauration d’une bâtisse qui date au moins du seizième siècle, de songer à quelque amas de louis d’or au fond d’une cachette. C’est ce qu’on appelle ici « la biche » pour désigner cette poterie où, souvent, les anciens serraient leurs économies. Le fait est que nous avons bel et bien découvert, construite dans les fondations, une superbe cachette en forme de petit four à pain, opportunément située à l’angle de deux murs et de la crèche(mangeoire) de l’étable. Pour y accéder, il fallait donc non seulement bousculer une vache, écarter le foin et écarquiller les yeux dans la pénombre, mais il fallait aussi en connaître l’existence, oubliée depuis longtemps puisque personne de ma famille n’était au courant.
Ce que nous y avons trouvé, je vais encore le garder pour moi et aiguiller la curiosité du lecteur vers un autre trésor, à la fois plus hypothétique et plus… cabalistique. En effet, lorsqu’on examine le plan de masse de la grande maison de Montpoulet, la plus ancienne, le « Palais Principal », on ne peut être que frappé de l’absence d’angles droits et de la ressemblance avec une flèche.
Les plus longs murs, orientés nord-est / sud-ouest, figurent les lignes d’une perspective qui invitent à aller voir leur point de fuite. Il est évidemment très difficile de localiser ce dernier avec précision, mais pourquoi ne pas envisager que le constructeur, en ces temps troublés de guerres de religion (Henri IV n’avait pas encore signé l’Édit de Nantes), ait d’abord enterré son trésor quelque part dans un chirat (pierrier) et en ait ensuite subtilement indiqué la direction en dessinant une maison comme une pointe de flèche. J’ai bien sûr pensé que les murs, bâtis avec du mortier d’argile, avaient bougé au cours des siècles, et que les angles aigus étaient dus à leur déformation. Mais j’ai vérifié, les pierres de certains angles sont bel et bien taillées en angles aigus…
Voilà ce que j'écrivais il y a dix ans en ne m'intéressant qu'à une seule combinaison de lignes de fuite, parce qu'elles pointaient commodément sur une construction que nous avions repérée dans les broussailles d'une parcelle voisine, une sorte d'énorme muraille circulaire protégeant une succession de trois petites terrasses accessibles par une entrée formée de d'énormes pierres levées. Non sans ressemblance avec Great Zimbabwe.
Mais, comme j'y avais trouvé un monstre, une énorme vipère aspic, et des pommes d'or, d'inattendues figues de barbarie, je l'avais baptisé Jardin des Hespérides. Nous y revoilà. Le frère de ma voisine avait confirmé qu'autrefois, quand il était enfant, disons soixante ans en arrière, c'était bien un jardin, exposé plein sud et possédant son trou d'eau que nous n'avons pas retrouvé. De là à penser que c'était le jardin de Gampeloup (ou de la première maison de Montpoulier, mais ma réflexion n'était pas arrivée là), dont l'habitation aurait été détruite pour réemployer les pierres autre part, il n'y avait qu'un pas que j'avais allègrement franchi.
En me promettant de revenir un jour avec un détecteur de métaux...
Et me voilà, à cause de ce souterrain, à remettre la question sur le tapis. Le cadastre est maintenant accessible en ligne. Je vérifie les lignes de fuite. Je m'aperçois qu'un deuxième point de fuite est discernable :
Ce deuxième point, vers le sud-ouest, comment n'y avais-je pas pensé plus tôt, correspond à ce qui ressemble fort à un oppidum pré-celtique. Encore une fois, ou peut-être est-ce la première fois, je vous parle de lieux retournés à l'état sauvage depuis des décennies, et que les broussailles ont rendues difficiles d'accès. A titre l'illustration, lorsque nous avons acheté la propriété, le plus proche voisin ignorait jusqu'à l'existence même d'une maison à Montpoulet puisqu'au bout de son pré commençait un champ d'aubépines, de ronces et de pruneliers dont les épines dissuadaient quiconque de s'y risquer. Cet oppidum est constitué d'une énorme muraille qui m'a fait de suite penser à des fortifications, tant elle est épaisse. Cette muraille est dotée, à intervalles réguliers, de sortes de capitelles, ou « cabanes de pierres sèches », construites en encorbellement mais comme par évidemment de la muraille, comme les trous du gruyère. Les pierres y sont énormes.
Bon, mais le cadastre est-il exact ? Je me le demande vu que le premier point de fuite est beaucoup plus près de la maison que le Jardin des Hespérides vers lequel, indéniablement, sur le terrain, en laissant glisser le regard, un œil fermé, le long des pierres, pointent les murs du palais. Qu'en dit donc Google Earth ?
D'abord rien. Je veux dire que la version française ne connaît ni Montpoulet ni Montpoulier. La version américaine connaît, met la balise au sommet, là où l'on relève sur un grand rocher plat la deuxième empreinte du sabot du diable, la première étant située 800m en contrebas, ce qui donne une idée de la longueur de son pas, donc de sa vitesse, mais je m'égare, un autre indice peut-être mais d'une toute autre mythologie... et donne une photo aérienne de la ruine avant restauration. Qu'à cela ne tienne :
Même en tenant compte de l'imprécision, Google Earth confirme Cadastre.gouv.fr et me laisse dans la plus totale des confusions. Je touche le fond... de l'incertitude : le tunnel doit-il sortir au Jardin des Hespérides, plus près du palais ou bien encore dans l'oppidum ?
Il me faut à nouveau changer mon marteau-piqueur d'épaule et redescendre photographier la voûte du tunnel puisqu'on me suggère qu'il s'agirait d'une écriture à l'envers, comme lue de l'extérieur (diable !), rien toutefois qu'un logiciel d'image ne saurait retourner.