Pneumothorax
« Vous êtes trop musclé monsieur, je n'arrive pas à percer... donne-m'en un deuxième (à l'assistante) » Et tout l'aréopage de sept jeunes stagiaires et internes, que des femmes, l'infirmière m'avait prévenue en s'excusant, mais je vous en prie, j'en veux bien trente, des spectatrices... de me regarder d'un air admiratif. Donc j'en rajoute : « c'est dans un roman de Thomas Hardy que le héros doit faire la même chose à une cinquantaine de brebis, je me sens comme une brebis... » Rires polis. J'en rajoute une couche « jusqu'à présent la seule opération chirurgicale que j'ai subie de ma vie, c'était l'ablation... d'un bouchon de cérumen ». Rires nettement plus affirmés. Mais un peu plus tard, au troisième pleurocath (catheter à plèvre, m'a expliqué le berger), quand il coud le drain en place et applique une sorte de valve : « Maintenant c'est à une piscine dégonflable que je me fais penser. » Éclat de rire général.
Et puis la douleur, terrible, qui fait peur. Un étau m'écrase le sternum. On m'arracherait le cœur si c'était le bon côté. « C'est normal monsieur, c'est le poumon qui se remet en place, on va vous faire de la morphine ». L'aréopage se réduit. Moins marrantes les grimaces de douleur.
La journée avait commencé comme à la vogue. J'avais eu droit à toutes les attractions du parc hospitalier : EEG, stéthoscope, échographie, ECG, rayons x et scanner.
« Bonjour monsieur l'agrégé, — oh, respect ! fit l'assistante en écho, permettez que je vous touche la main, c'est contagieux j'espère » (les agrégés ont-ils souvent ce type d'hommage ?).
Je lui avais dit la dernière fois que c'était grâce aux cinq années de son traitement anti-épileptique que j'avais fini par la décrocher et cela l'avait tellement mis en joie qu'il l'avait dit à tout le service.
« Donc aujourd'hui dernier contrôle avant sevrage total... mais on me dit que vous voulez faire d'une pierre deux coups...
– Oui, avant hier, soudain, douleur sourde au poumon droit et essoufflement au moindre effort...
– Ouh là, et vous n'êtes pas allé consulter ?
– J'avais les collègues du voyage en Angleterre à la maison et la douleur était soutenable... et hier j'avais les copies de mes quatrièmes...
– Défaites-vous le haut » Et il a sorti un vieux stéthoscope d'un tiroir.
Je me rhabille, il téléphone. Passage aux urgences en urgence bien que personne ne croie encore au diagnostic de pneumothorax du neurologue. « D'habitude ces cas-là arrivent à l'horizontale », me confiera l'infirmière de l'accueil après coup ; « C'est un Ardéchois, il coupe son bois lui-même, c'est un dur !» le neurologue à son collègue incrédule puisque j'avais monté les cinq étages à pied. Défilé des étiquettes. « Salle de dégravillonnage ». Marrant à conjuguer : j'aurais aimé, madame l'infirmière, que vous me dégravillonnassiez. L'échographie ne donne rien. Mais la radio confirme. « Regardez, votre poumon est tout ratatiné en bas, vous venez de passer trois jours sur un seul poumon, et le plus petit !» J'ai toujours aimé la natation en apnée, c'était la seule discipline où j'étonnais le prof de gym. « Mais on va faire un scanner parce que là déjà on voit bien la fracture de côte, donc ce serait bien votre tronc d'arbre le coupable initial, et il ne faudrait pas qu'il y ait d'autres lésions.
Laser aperture, do not look into the beam. Et si on lit pas l'anglais, comment on fait je me demande deux minutes avant de remarquer une autre étiquette en blanc sur fond noir, très difficilement lisible par mes yeux de presbyte Diaphragme laser, ne pas regarder dans le faisceau. Traduction d'opticien, donc.
J'en fais part à l'infirmière qui me ramène et comme elle ne rit pas franchement, j'ajoute une couche : « il n'y a aucun accent sur les majuscules sur les panneaux, ce sont des fautes d'orthographe vous savez etc. » Des patients, y'en a des chiants quand même, aurait-elle pu maugréer. Ben non, pendant que j'attends dans le couloir je l'entends dire à un autre patient en me lançant une oeillade « Permettez monsieur, il conviendrait que nous montassions à l'étage pour votre examen ».
Fin des pérégrinations dans cette Salle de Déchocage où le pneumologue m'a recollé plèvre et poumon pour le remettre en service. Maintenant il faut m'hospitaliser en pneumologie.