14- Le trésor de Montpoulet
Il est inévitable, quand on s’attaque à la restauration d’une bâtisse qui date au moins du seizième siècle, de songer à quelque amas de Louis d’or au fond d’une cachette. C’est ce qu’on appelle ici « la biche » pour désigner cette poterie où, souvent, les anciens serraient leurs économies. Le fait est que nous découvrirons bel et bien, construite dans les fondations, une superbe cachette en forme de petit four à pain, opportunément située à l’angle de deux murs et de la crèche (mangeoire) de l’étable. Pour y accéder, il fallait non seulement bousculer une vache, écarter le foin et écarquiller les yeux dans la pénombre, mais il fallait aussi en connaître l’existence, oubliée depuis longtemps puisque personne de ma famille n’était au courant. Ce que nous y trouverons, je vais encore le garder pour moi et aiguiller la curiosité du lecteur vers un autre trésor, à la fois plus hypothétique et plus… cabalistique. En effet, lorsqu’on examine le plan de masse de la grande maison de Montpoulet, la plus ancienne, on ne peut être que frappé de l’absence d’angles droits et de la ressemblance avec une flèche. Les plus longs murs, orientés nord-est/ sud-ouest, figurent les lignes de fuite d’une perspective qui invitent à aller voir leur point de fuite. Il est évidemment très difficile de localiser ce dernier avec précision, mais pourquoi ne pas envisager que le constructeur, en ces temps troublés de guerres de religion (Henri IV n’avait pas sans doute encore signé l’Édit de Nantes), ait d’abord enterré son trésor quelque part dans un chirat (pierrier) et en ait ensuite subtilement indiqué la direction en dessinant une maison comme une pointe de flèche. J’ai bien sûr pensé que les murs, bâtis avec du mortier d’argile, avaient bougé au cours des siècles, et que les angles aigus étaient dus à leur déformation. Mais j’ai vérifié, les pierres d’angles sont bel et bien taillées en angles aigus…
Mais revenons aux paillettes découvertes par Françoise avant qu’une ruée vers l’or ne transforme Montpoulet en San Francisco. Nous avons remonté à Paris une pleine boîte de conserve de ce sable aurifère que la source remonte tout doucement des profondeurs. J’ai appliqué le bout d’un fer à souder sur les paillettes pour les faire fondre et elles n’ont pas fondu. Tonton, pourquoi tu tousses ? Ce n‘étaient pas des paillettes d’or ! Ce n’était pas non plus du sucre en poudre. C’était des paillettes de mica jaune !
Bon, trêve de considérations rêveuses sur notre eldorado. Nous sommes en 1997, nous venons d’obtenir notre mutation pour la région, il va falloir déménager et nous installer… où donc justement ? Nous sommes tellement épris de ces dix hectares de nature que, follement, d’une manière totalement irresponsable, sans imaginer bien sûr les vicissitudes auxquelles nous nous exposons, nous décidons de venir habiter dans une caravane installée au milieu des sapins et des cèdres, sans électricité, sans eau courante, sans chauffage central, sans salle de bains, et illégalement comme nous l’apprendrons quelques mois plus tard.
Sans électricité mais avec téléphone et boîte aux lettres. Il y aura des soirées d’hiver où Françoise attendra que je revienne d’un conseil de classe, la main crispée sur le combiné et les yeux scrutant l’obscurité angoissante des frondaisons. Le téléphone et la boîte aux lettres étaient, on le voit bien, indispensables : de nos jours c’est la seule façon de justifier d’un domicile fixe. Je me souviens de la tête de mes collègues au collège de l’Édit à Roussillon où je fis une année de purgatoire avant d’être nommé à Lamastre, quand ils me voyaient le matin sortir mon rasoir électrique dans la salle des profs, en expliquant que chez moi, y’avait pas d’électricité. Mais y’avait le téléphone ! Le fil courait d’arbre en arbre et cela étonnait bien du monde. A commencer par les employés de France Télécom. J’avais un problème avec la connexion Internet : il fallait la débrancher pour pouvoir téléphoner. Je fis le 13. Une dame me demanda très gentiment quand les techniciens pouvaient venir. Je commençai à donner mon emploi du temps de la semaine d’après mais la dame m’interrompit : « Mais non, c’est pour aujourd’hui, est-ce que dans deux heures vous serez chez vous ? » Pareille diligence me stupéfia ; la région parisienne ne m’avait pas habitué à cela. Je vis bientôt arriver au sommet du col une voiture bleue suivie, et là c’était peut-être en faire un peu trop pour une simple prise récalcitrante, un énorme camion bleu. Deux techniciens en sortirent aussitôt comme frappés par la grâce. « Mais c’est extraordinaire cet endroit ! On savait même pas que ça existait ! Et vous avez Internet ici ? Mais comment ça arrive, le fil il est où ? »
Même diligence pour La Poste. Très embêté de devoir allonger la tournée du facteur, j’avais pris contact avec le receveur de Saint Félicien. Il m’avait dit que le facteur irait voir si c’était possible. En fait je m’attendais à ce qu’on nous dise de mettre notre boîte chez Maurice et Denise, nos voisins au bout du goudron, et je l’aurais très bien compris. Je pouvais envisager, au mieux, que la boîte aux lettres fût installée au sommet du col. Mais le diagnostic de Fernand, le facteur, me persuada que le service public n’était pas un vain mot en Ardèche, et était de bien meilleure qualité qu’en banlieue parisienne : « Pas de problème pour allonger la tournée, sauf qu’en hiver avec la neige, je suis pas sûr de pouvoir toujours arriver à la maison de l’autre côté du col ! »
Mais trêves de considérations disais-je : il nous faut déménager plusieurs dizaines d’années d’accumulations diverses. Nous louons un petit camion de 20 m3. Sans le savoir nous allons le surcharger et risquer de bien graves conséquences. Pire encore, je n’arrive pas à le conduire comme il se doit et en partant de Paris, je vais démolir l’entrée de notre maison. Mais je vous raconterai tout cela la prochaine fois.
La cachette en forme de petit four à pain,
et où nous n'avons trouvé que de l'argile.