L'irascibilité des extrémistes musulmans, par l'exemple
Après Rawalpindi j'ai cassé le pédalier de Rossinante, je n'ai pas pu réparer et j'ai dû prendre le train pour Karachi.
Dans le train je demande à mes compagnons de voyage de m'aider à apprendre l'alphabet. Tous se montrent très honorés et bientôt tout le wagon est autour de moi. C'est à ce moment qu'un homme commence à objecter d'une voix forte, mais en Ourdou, la langue officielle du pays. S'ensuit une discussion très animée dont je suis à l'évidence l'objet mais dont je ne saisis pas un traître mot. Comme les protagonistes me désignent à intervalle régulier, quelqu'un daigne m'expliquer en anglais :
« Sur votre page d'alphabet, vous voyez en haut, cela dit Bismillah el Rââman el Rââmin et c'est une phrase sacrée pour un musulman, elle commence toutes les prières. Donc elle rend sacré tout morceau de papier où elle est écrite. Pour cet homme il ne faut donc pas vous laisser la page d'alphabet, vous êtes un infidèle, ce serait un sacrilège. »
Plusieurs fanatiques ont envahi le wagon et soutiennent le premier objecteur. Toutefois, dans le groupe qui m'entoure, il y a des hommes plus âgés qui parviennent à s'imposer et faire accepter une sorte de compromis :
« Voilà, vous pouvez garder la page d'alphabet, mais vous devez nous jurer que vous comprenez qu'elle est sacrée. Vous ne devez en aucun cas la maltraiter, faites comme si c'était la Bible des Chrétiens. »
En lisant le journal à Karachi, je me rends compte que je l'ai échappé belle, le parlement pakistanais vient de promulguer une loi qui punit de mort quiconque commettrait un acte de sacrilège envers un texte sacré. Et moi sans l'incident du train, j'aurais certainement fini par l'utiliser comme papier hygiénique, ma page d'alphabet arabe !