23- Enterré là il y a trois cents ans.
Résumé des épisodes précédents : Françoise et Bernard ont racheté en 1994 la ferme de l’arrière-grand-père de Bernard, à Montpoulet, Saint-Victor. Depuis la région parisienne, ils viennent d’abord y passer leurs vacances et débroussaillent. Ils retrouvent la source, découvrent une faune fabuleuse et des paillettes d’or tandis que la configuration cabalistique des fondations de la ruine les fait espérer un trésor. Ils viennent s’installer sur place en 1997. Leur permis de construire est refusé trois fois puis accepté après plusieurs recours, et les travaux vont bon train malgré l’amateurisme de ces « néo-ruraux » (on peut lire les épisodes précédents dans "La Chronique de Montpoulet»)
Un dimanche, nos voisins de Piquet nous avaient amené un couple de leurs amis dont le mari, un petit homme rondouillard et jovial m’avait pris à part d’un air de conspirateur. Il ne voulait pas que sa femme le voit. Il avait une sorte de pendule dans les mains et s’était positionné en-dessous du jardin de la Méjou do Vieux, face au Palais Principal.
« Dans cette direction, me souffla-t-il, je sens la mort… Oui, quelqu’un a été enterré là il y a trois cents ans ! »
« Par là », ça tombait bien, j’avais prévu de creuser. C’était la partie basse de l’ancienne ferme où l’on rangeait la charrette, entre deux « établous » à cochon, les « tetchous ». Ce mur, sans doute bâti à la hâte, n’était pas en bon état et il me fallait en consolider la base. Pour tout dire, dans cette partie-là, j’avais le fantasme d’installer un sauna en sous-sol, à même le rocher, sous la dalle de la salle à manger. Pour ne pas mégoter, j’avais même prévu une sortie par le bas : un trou d’eau où l’on plongerait pour passer sous le mur et se retrouver dans le lavoir, pour se rafraîchir.
Pour réaliser ces travaux pharaoniques, et vérifier la clairvoyance de l’ami de nos voisins, la pelleteuse s’imposait. Une « mini-pelle » plus exactement. Mon rêve de gosse. A l’époque, j’étais fasciné par les pelles mécaniques à cause de la rangée de manettes entre lesquelles le conducteur ne devait pas se mélanger les pinceaux. Il devait y avoir une manette pour fermer le godet, une pour l’ouvrir, une pour lever le bras, une quatrième pour le baisser, deux autres manettes pour l’avant bras, une pour la tourelle, et les deux dernières pour les chenilles. Sur les pelleteuses actuelles, seules les deux dernières subsistent. Les autres ont été remplacées par des « joysticks » comme pour les jeux vidéo. J’avais déjà joué en louant des mini-pelles à la journée, et j’avais découvert la formidable puissance de travail de ces petits engins. Ils m’avaient, entre autres, permis d’arracher des souches en une heure ou deux alors qu’à la main, cela prenait plusieurs jours. D’ailleurs cette mini-pelle, nous l’avions achetée pour cela, arracher les souches et effectuer l’immense travail de terrassement nécessité par l’installation d’une pompe à chaleur géothermique.
A la place de la charrette, rien, pas le moindre os, pas la moindre arête. Mon esprit cartésien s’en trouva soulagé. Mais, après la cavité pour sauna, j’attaquai l’excavation, de l’autre côté du mur, d’un futur réservoir destiné à conserver l’eau de pluie. Ce n’est qu’en apercevant deux os orangés, abîmés, sans doute un radius et un cubitus, que je me rendis compte que là où je creusais, de l’autre côté du mur aux fondations douteuses, c’était aussi dans la direction indiquée par le voyant. Mon esprit cartésien retint son souffle.
Il me faudrait revenir avec des outils un peu plus délicats, mais pour l’heure, pas question d’arrêter de jouer avec ma merveille, aussi je m’attelai à remonter la canalisation d’une source secondaire toute proche. Après les tuyaux en fonte, je découvris une tuyauterie en terre cuite dont je jugeai qu’elle devait être contemporaine de la construction primitive. Ces tuyaux de 53 cm de long, la fameuse coudée, emboîtés et cimentés les uns dans les autres, portaient une inscription faite avant cuisson. Je m’appliquai à la déchiffrer comme s’il s’agissait de hiéroglyphes, puisque je me sentais à présent, à la recherche du squelette (peut-être, qui sait, une momie) l’âme d’un Égyptologue. L’inscription indiquait « CLÉMENT NOUVENE PÈRE & FILS Fque de tuyaux coniques et cylindriques BOLLENE Vaucluse »
Ces tuyaux en terre aboutissaient, non pas à un captage comme je le prévoyais, mais à une antique canalisation patiemment construite en pierres plates non cimentées, un de ces « tous » dont Maurice m’apprendra que beaucoup de terres cultivées sont dotées pour drainer l’eau de pluie. Celle-ci remontait bien au-delà d’où je pouvais aller mais, après avoir enlevé les terres cuites, je m’aperçus que le tuyau de pierre avait été préservé par dessous et servait de drainage pour protéger l’ancienne étable des inondations.
Mais du coup, tout à mes recherches archéologiques, j’avais tellement creusé des deux côtés du mur que je ne l’avais certainement pas consolidé. Survint alors un « épisode cévenol » caractéristique des automnes par ici. Quatre-vingt litres au mètre carré en une seule nuit. La moitié de la terre remuée emportée vers le bas… et à contretemps, le lendemain, un vendredi après-midi, un grand badaboum, le mur complètement éboulé, principalement la partie demeurée découverte pour la future baie vitrée mais, et c’était toute l’horreur, en entraînant les soubassements de la nouvelle maçonnerie que j’avais construite, les deux tableaux de l’ouverture et surtout, surtout, ce qui soutenait l’énorme tronc d’arbre courbe que j’avais installé pour soutenir le futur toit, un sorte d’arbalétrier en bois rond, un sapin Douglas que j’avais abattu, fait débarder et transporter puis installé moi-même à grand peine, avec une chèvre et un palan. Et ce vendredi après midi je constatai qu’il avait déjà bougé d’un centimètre en direction du vide.
(mis en place avec chèvre et palan- sur la gauche, en bas de l’ouverture, le mur qui va s’ébouler)
(L’arbalétrier a bougé d’un cm en direction du vide)
Courant chercher des poteaux, des étais et tout ce que je trouvai pour étamper cette superstructure irréelle qui tenait en l’air par l’opération du Saint-Esprit (et, il faut sans doute le reconnaître grâce aux qualités mécanique du ciment fabriqué à Cruas, en Ardèche), je me souviens que je tremblais de peur ; pour la première fois de ma vie peut-être, l’angoisse de voir s’écrouler toute ma maçonnerie me secouait de tremblements. Comment allais-je contrer cette catastrophe, et qu’allais-je découvrir au bout des ossements mis à jour ? Et bien je vous le raconterai la prochaine fois.
(Étamper par tous les moyens)