C'est un des périodiques du village français à la frontière de Montpoulet et il vient de sortir. Il contient ce 32é épisode de La Chronique de Montpoulet (deux par an, donc depuis 16 ans, cela donne le vertige). L'épisode reprend quelques articles déjà publiés ici.
32é épisode : Le cruel massacre de la martre
Résumé des épisodes précédents : Françoise et Bernard ont racheté en 1994 la ferme totalement en ruines de l’arrière-grand-père de Bernard, à Montpoulet, Saint Victor. Ils viennent d’abord y passer leurs vacances et défrichent. Ils retrouvent la source, une faune fabuleuse, des voisins hospitaliers tandis que la configuration cabalistique des fondations les fait espérer un trésor. Ils viennent s’installer dans une caravane en 1997. Leur permis de construire est accepté après trois recours, et les travaux vont bon train malgré l’amateurisme de ces néo-ruraux. Après avoir retourné son tracteur trois fois, Bernard fait écrouler les fondations de toute une façade, deux pins Douglas manquent tout juste lui coûter la vie, et leur élevage de poules est en butte à bien des malheurs.
Nos poules au port altier, à la cuisse légère et aux sots-l'y-laisse succulents attisent la convoitise des sauvages qui nous entourent, mais cette fois, c'est le bouquet, il ne s'agissait même pas de croquer cuisse ou poitrine, il ne s'agissait que de sucer le sang.
Ce fut alors un génocide sans révision possible : il n'y eût ni rescapée suspecte ni survivante logorrhéique. Les victimes étaient éparses, dans tous les coins où la bête immonde les avait coincées, livides et comme sortant du bain puisqu'il avait abondamment plu dans la nuit. Les larmes me montèrent aux yeux en imaginant la scène. Cela avait dû longtemps durer. Elles avaient dû m'appeler, normalement les cris m'éveillent, mais là, l'orage... La bête les avait assaillies l'une après l'autre, en avait fait son affaire pendant que les futures victimes erraient aveugles à la recherche de l'illusoire protection d'un recoin. Les larmes me sortirent des yeux à l'évocation de leurs naissances, certaines avec césarienne parce que dans la couveuse électrique, elles n'arrivaient pas à se libérer de la coquille. Les larmes coulèrent à l'évocation de leur affection pour moi qu'elles prenaient pour leur mère, à l'évocation de leur apprentissage de six mois : elles étaient prêtes à pondre. Et il n'en restait pas une de vive ! Alors, cette bête immonde, un vampire ? Vlad l'Empaleur ? Le fameux Comte Dracula ? Un zélé du centre de transfusion sanguine ?
Nos poules au port altier, à la cuisse légère et aux sot-l’y-laisse succulents attisent en effet la convoitise de nombreux barbares qui entourent notre petite maison dans la forêt : buses variables et éperviers communs, autours des palombes aux yeux rouges, chiens errants aux yeux de rage et naturellement, renards roux. Mais là, il ne s'agissait ni des uns ni des autres.
Nous nous étions protégés des premiers en installant des filets mais les rapaces arrivaient régulièrement à entrer, le dernier peu de temps avant ce total massacre.
Alerté par les cris, je n'eus que le temps... de me munir d'un vieil échalas en robinier. Il me fallait procéder comme avec les vipères : immobiliser la bête avec le bâton et lui saisir les pattes. Les vipères n'ont pas de pattes ^^ ? Bon alors, lui saisir les serres : cela correspond à la tête de la vipère, c'est avec cela qu'il attaque, pas avec le bec, en tout cas pas moi, il me fixe de ses yeux ronds comme si je l'hypnotisais.
Il avait déjà mangé presque tout le côté d'une des poulettes que nous avons créées sans poule, juste avec des œufs (résolvant ainsi une énigme millénaire : qui est premier de l'œuf ou de la poule ? L'œuf bien sûr ! La poule n'étant pour l'œuf qu'un moyen de se reproduire selon Samuel Butler). C'est la trente-et-unième que nous doivent les rapaces.
Ils trouvent toujours un petit trou... par où ils ne savent pas repartir, d'où les captures. C'est la quatrième (je m'empresse d'ajouter que j'ai toujours relâché : je suis un pro-nucléaire, pro-OGM, pro-gaz de schiste TRÉS écolo ! :D ). L'ami Antoine, ornithologue amateur, m'avait dit aux premières attaques ce n'est pas une buse, les buses ne s'attaquent pas aux poules, cela doit être un autour. Et bien la première capture, c'était une buse. La deuxième un épervier. La troisième fut effectivement un autour, animal imposant. Et là je crois bien être en présence d'un autour, ses yeux jaunes m'y font penser, sa taille moins, disons d'un juvénile comme disent les experts... sauf qu'un autour a les yeux presque rouges, comme quatre ans en arrière :
J'enferme l'animal dans notre cage à serins et comme le hasard fait bien les choses, j'attends la venue d'Antoine et de sa famille le soir même. Le rapace exhibé en plein diner fait son petit effet mais l'identification est incertaine : « un faucon, de toute façon, dit Antoine, peut-être un faucon hobereau... je reviens demain avec appareil photo et Guide Ornitho, de chez Niestlé et Delachaux. »
Antoine revint et à quelques traits de plumage reconnut un faucon... émerillon. Il ajouta pour tranquilliser les poules : c'est un migrateur, et après cette nuit en cage, il n'est pas près de revenir dans le voisinage !
Nos poules au port altier, à la cuisse légère et aux sot-l’y-laisse succulents attisent la convoitise de nombreux barbares qui entourent notre petite maison dans la forêt et les renards ont pour eux la ruse d’agrandir la moindre des failles dans la maille de la grille, patiemment, consciencieusement, jusqu’à obtenir un trou d’à peine 15 cm de diamètre, bien caché par quelque ronce feuillue et par lequel ils arrivent non seulement à entrer mais à extirper les corps de leurs victimes. Mais au moins c'est pour les manger ou en nourrir leurs petits, pas juste pour le plaisir de tuer.
Le renard roux de Roger
Très vite, pour les renards, il avait fallu prendre une mesure énergique et d’envergure. Aussi avions-nous décidé de faire d’une pierre deux coups : institutionnaliser la chasse au renard pour en réduire le nombre et en même temps nous angliciser davantage pour augmenter nos chances d’être admis au sein du Commonwealth : nous roulons déjà à gauche à Montpoulet, par exemple...
C’est à Roger que revient le mérite du premier gibier, un superbe mâle qu’il a occis d’un coup de... binette.
Il est clair que la méthode n’est pas très anglaise. La chasse au renard chez les sujets de sa Majesté ne se fait pas à binette mais à courre avec de nombreux chiens limiers. Nous avons dû adapter la tradition (qui remonte aux Celtes) à cause du terrain particulièrement accidenté de Montpoulet. Donc la binette.
Pas un rapace cette nuit d'orage, pas un chien errant, pas un renard roux, non : d'après nos voisins, le grand exterminateur, la bête génocidaire, c'est la fouine, de la famille des martres, mais à qui l'on doit le verbe fouiner et l'adjectif chafouin, rien de bien en somme. Et si les renards ont pour eux la ruse de cacher leur trou derrière une ronce, pour la fouine, même pas caché, le trou, et d'au moins vingt centimètres.
Je n'ai pas dit un mot des autres attaques de la nature que nous subissons sans broncher, comme celle des chiens errants, ou des frelons, mais je vous raconterai cela au prochain numéro.