19- (Il n’est pas) Permis de construire
Pour monter notre dossier de permis, nous avions fait appel à un entrepreneur de maçonnerie qui avait fait le déplacement en compagnie d’un jeune architecte stagiaire. Nous apprendrons plus tard que la visite (les pierres émergeant à peine des broussailles, le chemin même pas accessible à un véhicule léger) avait persuadé l’entrepreneur que nous n’y arriverions jamais. Le jeune architecte par contre s’était enthousiasmé pour le projet et nous avait proposé de superbes idées. Il avait conçu, pour le petit bâtiment, une idée géniale qui mêlait le bois à la pierre, et rebondissait sur l’état actuel de la ruine, comme éventrée par une explosion, pour en augmenter la surface par des excroissances vitrées un peu à la façon des « bow windows » des maisons anglaises. Malheureusement, je ne me sentais pas de taille à réaliser le travail. Il me fallait de la maçonnerie simple et traditionnelle, le bois m’était complètement étranger.
Tellement étranger que je n’aurais pas su à mon arrivée ici distinguer un frêne d’un alisier ou d’un sorbier. Mon ignorance s’étendait au bois de chauffage et m’a valu une honte cinglante. Ma grand-mère habitait toujours le village proche de Navas et se chauffait toujours au bois, avec un foyer à même le sol de sa cuisine, comme cela se pratiquait depuis des… millénaires. Elle trouvait difficilement à s’approvisionner et lors de ses visites à Montpoulet, elle ne manquait pas de faire remarquer que tous les pins que nous avions abattus pour ouvrir les chemins (et qui, d’après Maurice, « ne valaient même pas le coup de tronçonneuse »), et bien selon elle, « il y en a qui s’en contenteraient bien pour se chauffer ». Je lui apportai donc ce que je pouvais transporter en voiture, pêle-mêle, sans trier.
J’avais pourtant bien intégré sa leçon en matière de bois de chauffe : « Mémé, quel est le meilleur bois pour se chauffer » lui avais-je demandé un jour en pensant « quelle essence de bois, est-ce le frêne, le fayard ou quoi ? » et elle m’avait répondu, en ménageant son effet, toute paysanne rusée qu’elle était : « le meilleur bois pour se chauffer, mon petit, et je peux te le dire puisque j’ai brûlé du bois toute ma vie, et bien, c’est le bois… sec ! ».
Et je lui en avais donc apporté du bois sec, très sec, qui était au sol depuis longtemps. Et m’était revenue indirectement la réflexion selon laquelle je me serais moqué d’elle en lui apportant du bois sec, soit, mais pourri. Une deuxième leçon en quelque sorte.
Le jeune architecte s’était donc remis à la tâche et s’était occupé de tout le dossier. J’avais rajouté un petit couplet sur la ténacité légendaire des Ardéchois, ténacité dont nous nous faisions fort d’hériter pour remonter la ruine. Et d’un autre couplet sur « Montpoulet, patrimoine familial et patrimoine ardéchois » grâce à Geneviève, la secrétaire de mairie, qui avait dégotté l’ancien cadastre qui prouvait qu’il y avait là, jusqu’en 1968, deux vraies maisons soumises à l’impôt foncier. Nous pressentions bien sûr que la transformation d’alors, par destruction des toits, du « bâti » en « plantation » allait nous valoir quelques problèmes. Pleins d’entrain malgré tout, nous avions poussé le zèle, l’architecte jusqu’à donner la référence des tuiles dont nous couvririons les toits, de l’Oméga 10 « vieux toits », et nous jusqu’à faire à nouveau analyser notre eau de source.
La première analyse, juste après le curage de captage en 1994, avait donné un résultat tangent, le laboratoire indiquant qu’il était déconseillé de donner à boire cette eau à des nourrissons. Cette fois-ci, par précaution, nous demandons l’analyse de deux échantillons. Le premier, étiqueté « source principale », est en fait de l’eau de source vendu en bouteille, et le deuxième, étiqueté « source de l’Ubac », provient en fait de la source principale. Les deux reviennent attestés « conformes à la réglementation des eaux de distribution publique », ouf, mais en regardant bien les détails de l’analyse, nous nous rendons compte que notre source est plus encore plus pure que l’eau du commerce.
En pure perte hélas. La réponse est rapide, notre permis est refusé. L’inspecteur de la DDE n’a vu qu’une chose lors de sa visite et il me l’explique au téléphone : « Vous savez, on a l’habitude, quand il n’y a plus de toit depuis plusieurs années et que des arbres ont poussé sur les pierres, c’est que la maison n’existe plus. Votre demande équivaut à construire une maison neuve en pleine nature au sommet d’une montagne, et j’ai été bien gentil de ne pas verbaliser le stationnement des caravanes ».
Nous résolvons d’abord ce dernier problème. Françoise, au moment où je termine ma conversation avec le fonctionnaire de la DDE, revient de visiter une maison à louer à St Félicien. Ce qui m’y plait par-dessus tout, c’est qu’elle est chauffée au bois. Voilà de quoi m’aguerrir à la pratique et ne plus confondre bois sec et bois pourri. Et avec cette nouvelle adresse de vraie maison conventionnelle, nous obtenons le permis de… camper sur nos terres.
Pour l’autre permis, le gros le vrai, l’heure est grave, il va falloir batailler ferme. Nous commençons par écrire à tout ce que nous connaissons comme élus locaux. Conseiller général et député nous assurent de leur soutien. Celui du député va se révéler particulièrement précieux dans la mesure où le préfet répond personnellement à ses courriers (et pas aux nôtres) et où son attaché parlementaire, très zélé, nous transmet systématiquement copie des courriers du préfet comme du sous-préfet. Même ceux qui, manifestement, n’auraient pas dû échapper à la sphère des puissants. Et cela nous sera très utile.
Mais nous n’en sommes qu’au « recours gracieux » suite au premier refus. Cela donne très vite ses fruits et, autour de Noël 1998, le Maire de St Victor et ses deux adjoints viennent nous annoncer, en toute sympathique jovialité, que l’affaire est faite, que le sous-préfet de Tournon, monté tout spécialement pour régler l’affaire identique d’un jeune couple de voisins, avait décidé de se montrer magnanime en réglant également le nôtre. Cela sera confirmé par le fameux courrier que nous n’aurions jamais dû avoir, et où le représentant de l’état, s’adressant au député, commencera par reconnaître que notre « reconstruction du bâti pourrait être tolérée » puis, « après examen approfondi du dossier, considérant (…) qu’il est préférable de maintenir des habitants dans une zone rurale fragile » et de nous « délivrer un permis de construire ». Chaque mot, on le verra, comptera. Nous trinquons donc à la visite fructueuse du sous-préfet aux champs.
Le seul hic, c’est que la DDE nous demande ensuite de déposer une nouvelle demande pour que le dossier, qui ne bute maintenant plus sur un refus de principe, puisse être « instruit » comme c’est le cas habituellement. Nous nous exécutons en toute confiance, loin de nous douter que la DDE allait s’acharner et trouver un moyen subtil pour que cette deuxième demande de permis soit également refusée, et par la plus grande autorité du département. Quel moyen ? Je vous le dirai la prochaine fois.