Résumé des épisodes précédents :
Françoise et Bernard ont racheté en 1994 la ferme de l’arrière-grand-père de Bernard, à Montpoulet, Saint-Victor. Depuis la région parisienne, ils viennent d’abord y passer leurs vacances et
débroussaillent. Ils retrouvent la source, découvrent une faune fabuleuse et des paillettes d’or tandis que la configuration cabalistique des fondations de la ruine les fait espérer un trésor.
Ils viennent s’installer sur place en 1997. Leur permis de construire est refusé trois fois puis accepté après plusieurs recours, et les travaux vont bon train malgré l’amateurisme de ces
« néo-ruraux ». Pas sans anicroches cependant puisque parti à la recherche d’ossements, Bernard dégage un mur d’un peu trop près et il s’éboule en menaçant d’entraîner tout le
reste.
Suspendus en l’air, donc, les deux tableaux de la future baie vitrée, toute la
superstructure en maçonnerie de pierres et l’appui de l’arbalétrier en bois rond, ce beau sapin Douglas courbe. Qu’allais-je faire ?
Il me semble que c’est là que j’avais laissé le lecteur… ah oui, il y avait aussi une histoire d’ossements indiqués par un pendule… Mais avant de répondre, il faut quand même que je raconte
l’histoire de cet arbre. On nous dit partout qu’il faut défendre la forêt et les arbres qui nous protégeraient du réchauffement de la planète. Moi je dis que les arbres se défendent très bien
tous seuls et je le prouve : juste avant Noël 2004 un arbre que je voulais abattre m’a cloué au lit et, ce qui est encore moins banal, a cloué le médecin dans le même lit que moi.
C’était donc, d’après les gens compétents, la descente de la sève et il était temps pour moi
d’abattre le bois pour la charpente du palais. J’achetai donc cinq chaînes de tronçonneuse, nettoyai le filtre à air de ma Stihl 026C et me présentai au pied du beau Douglas qui présentait un
vice incorrigible puisqu’il était courbé à la base. Le scieur m’avait dit qu’il « ne valait pas le coup de tronçonneuse ». Je m’étais dit tiens, on verra ce qu’on verra.
Les arbres ont été plantés serrés à Montpoulet et il est difficile d’en abattre un sans qu’il
reste accroché à ses voisins, un peu comme une famille retiendrait l’un des siens qu’on voudrait enlever. Bien que j’en sois prévenu par quelques déboires passés, c’est ce qui m’arriva là.
J’essayai plusieurs fois de secouer l’arbre en utilisant un tourne-billes mais rien à faire. Je revins le lendemain avec Françoise, m’énervai à nouveau sur le tourne-billes et quand je me baissai
au pied d’un deuxième arbre que je devais abattre pour qu’il ne retienne plus le beau Douglas, je ressentis comme un craquement dans les lombaires, mais sans douleur. Je ne le mentionnai même pas
à ma très chère.
Françoise devait me prévenir lorsque le beau Douglas frémirait en sentant céder sous lui celui qui le
retenait et que j’abattais. Elle se tenait à distance respectable et évidemment, lorsqu’elle hurla que le beau Douglas me tombait dessus, à cause du moteur de la tronçonneuse, je n’entendis
absolument rien. Elle paniqua et m’envoya des bouts de bois. Je n’en vis absolument aucun, trop absorbé par ma ligne de coupe.
Bon, pas de panique, le beau Douglas ne m’est pas tombé dessus. Mais j’avais maintenant trois
arbres à couper en tronçons et à débarder. Je ne m’arrêtai qu’à la nuit tombée, les lombaires sensibles mais sans plus. Le lendemain dimanche par contre, j’expérimentai la plus atroce douleur
de ma vie lorsque je cherchai à quitter le lit. La moindre esquisse de mouvement tétanisait mon dos à la manière, je suppose, d’un courant de haut voltage. Il me fallut une bonne demi-heure
pour m’approcher du bord du matelas pour… uriner dans une bouteille. Je dus donc accepter que Françoise appelle le médecin, ce qui ne m’était pas arrivé depuis quarante ans. L’homme de science
était en déplacement (un cas d’empoisonnement au gaz des choristes de la messe de minuit à Pailharès, cela ne s’invente pas !) mais il promit de venir dès que possible.
Ce fut seulement vers 16 heures. J’étais encore cloué sur ma couche comme un papillon sur la
planche d’un collectionneur. De fait, notre lit est en planches. Elles-mêmes clouées à une structure de rondins de châtaignier boulonnés aux pannes du toit. Un lit suspendu, donc, auquel nous
accédons par deux échelles verticales. Dessous, il y a les armoires. Cela avait beaucoup fait rire nos voisins que nous mettions notre lit sur l’armoire. Le médecin riait aussi, un peu jaune,
mais on ne pouvait pas faire autrement, il vint donc s’accroupir à côté de moi dans le lit suspendu, à deux mètres du sol. Il me fit une injection, promit un effet miraculeux dans les
prochaines vingt minutes, et se retourna pour descendre. Je le vis alors blêmir. « Je suis sujet au vertige » souffla-t-il. Il entreprit pourtant de descendre face au vide et cela n’y
manqua pas, il se crispa soudain, incapable d’aller plus loin, cramponné aux rondins de châtaignier. Là je me demandai s’il allait aussi falloir appeler les pompiers pour sortir le médecin de
mon lit.
C’est Françoise qui fit les pompiers. En lui prenant les chevilles, elle aida l’homme de l’art à se
retourner puis à patiemment descendre les échelons. Les Douglas n’avaient qu’à bien se tenir, j’étais en voie de guérison, tout seul dans mon lit suspendu. Mais on pourrait bien tirer une
morale de cet épisode : prenez exemple sur le beau Douglas, ne vous laissez pas abattre ! Et clouez sur une planche l’outrecuidant bûcheron qui s’en prendrait à
vous.
(Détail : le contrefort à droite et à gauche le reste de parement
interne du vieux mur)
Et des ossements, un peu plus loin, la pluie en avait découvert d’autres : Un magnifique genou
que je m’évertuai à dégager à la petite truelle, en archéologue patient. Puis ce qui ressemblait à des doigts, puis un fémur, puis une autre jambe entière. Pour dégager la suite, sur quoi
pesait trop de terre, je dus ramener la mini-pelle et travailler avec tout le doigté dont j’étais capable. Là je mis au jour tout le thorax, côtes bien nettes, les omoplates et enfin le crâne.
Très détérioré par le séjour en terre acide. Un peu allongé sur la mâchoire où je prélevai une dent, une énorme dent… de ruminant. Mon esprit cartésien poussa un soupir de soulagement, je
n’étais que sur une nécropole animale, et pour concurrencer Thèbes et la Vallée des Rois en Égypte, Montpoulet repassera, mon squelette devait être celui d’un veau.
Mais au bout de la patte, un pistolet.
Une patte de veau tenant un pistolet ?!!! Je vous expliquerai la prochaine fois.