In memoriam Chouquette
J'ai garé la mini-pelle sur sa tombe pour empêcher les blaireaux de venir la déterrer. J'avais tenté de creuser sous un cèdre entre les violettes mais j'ai buté sur les racines. J'ai trouvé un autre endroit tout près où le rocher était à au moins une coudée de profondeur. Les violettes, Françoise les a mises au fond du trou.
Je ne savais pas qu'on puisse pleurer la mort d'un chat (d'une chatte en l'occurrence) autant que celle d'une personne. Son insistance à entrer dormir la nuit était devenue irrésistible. Elle me réveillait vers 4h du matin pour sortir puis ce fut une étonnante grasse matinée. Et puis une nuit elle miaule, atrocement, je descends, elle est près de la source intérieure, asséchée maintenant. Ce fut le début de la séquence je bois énormément mais je ne mange plus et je dors au soleil ou bien au pied du bassin sous la meule. Dans la nuit de lundi à mardi, elle me réveille trois fois pour boire. La quatrième fois je la laisse dehors avec un bol d'eau. À 6 h je me lève pour aller voir ce qu'elle devient et très vite un affreux pressentiment. J'ouvre la porte et me proviennent les bruits d'ébats dans l'eau ; sa marche étant devenue très hésitante, la voilà tombée dans le bassin. Je la sors, l'essore avec mes mains puis la sèche au torchon et l'assieds devant le poêle à bois. Puis dans une cagette devant le poêle ; elle ne sait plus se coucher comme d'habitude, la truffe sous la queue ; elle reste la tête en haut. Prostrée mais à moitié debout. Mercredi, elle n'est pas sortie de sa cagette alors qu'elle s'en était encore extraite mardi pour aller boire. Françoise lui donne de l'eau au bout d'une pipette mais ses membres sont de plus en plus raides. Elle nous salue toujours d'un miaulement atroce d'appel au secours. Son ventre est de moins en moins chaud. On va la faire piquer ? Tu ferais piquer ta mère ?
Elle a miaulé chaque fois, dans la nuit de mercredi à jeudi, qu'elle nous entendait près d'elle puis une dernière fois au lever du soleil vers 6h. Un miaulement que j'ai entendu deux étages plus haut. Elle avait plus de seize ans.
À sa mémoire, ce que j'avais écrit sur elle :
Notre plus vieille chatte, Chouquette, née dans le midi, c'est à dire à Chalencon, juste au sud du 45e parallèle, est la plus bavarde et la plus têtue. Elle miaule tant et si bien qu'on finit par en passer par ses quatre volontés. Ce fut notamment le cas pour ses premières couches. Elle avait préparé une sorte de nid dans l'armoire de la Méjou do vieux, au premier étage. Françoise craignant pour son linge, nous l'avions sortie de la maison au moment où nous nous absentions. L'accouchement devait être imminent parce que la chatte nous poursuivit en miaulant tellement fort, d'un ton tellement impérieux et implorant, que nous l'avions laissée rentrer. Nous avions cependant fermé la barrière de sécurité bébé au sommet de l'escalier après lui avoir préparé un panier au rez-de-chaussée. Et bien quand nous sommes revenus, Chouquette avait bien fait ses petits dans l'armoire, c'est-à-dire que, toute grosse qu'elle était, elle avait escaladé la barrière.
Lorsqu'elle rapporte une souris (parce que les chats tuent les souris, et en jouent pendant l'agonie, navré, je n'ai pas plus politiquement correct), le miaulement n'est pas le même que lorsqu'elle réclame du lait (forcément, avec la souris entre les dents). Lorsqu'elle eut une fille, puis une petite fille, c'était toujours elle à faire ses petits la première. Et à nous les faire sur les genoux, quasiment. Peut-être parce qu'elle sentait que cela pouvait mal se passer, elle nous laissait décider de l'endroit. Une fois, nous sommes en effet intervenus pour l'aider, mais quelques jours plus tard, elle tint à éloigner ses rejetons de nous, ayant bien compris qu'ils pouvaient, mystérieusement, comme les précédents, disparaître d'un instant à l'autre. Si nous conservions deux portées de cinq chatons par chatte, nous en serions davantage envahis que de souris. Le nid était sous le tronc de châtaignier qui servait de banc près de la porte d'entrée. Elle en ressortait avec un chaton dans la bouche et l'emmenait sous un rocher dans la montagne. Une cachette bien connue de nous. Mais, voyant cela, la troisième chatte (troisième par l'âge), qui avait, elle, pris la précaution de cacher sa portée sous une palette soutenant plusieurs sacs de ciment, empêchant ainsi qu'on les atteigne, entreprit de compenser. Je veux dire qu'en voyant sa grand-mère soudain privée de ses enfants, elle commença à lui apporter les siens, à l'endroit même d'où les premiers avaient disparu, sous le tronc de châtaignier. Mais la grand-mère, têtue on le sait, déménagea aussitôt la portée ressuscitée vers le rocher dans la montagne. Ce que voyant, la troisième chatte, soucieuse sans doute de notre affection autant que de celle de sa parente, se mit en tête de les rapporter sous le châtaignier. Nous avons alors assisté à cet étrange manège de deux chattes emportant et rapportant les mêmes chatons, et se croisant en route comme si de rien n'était.
Ou bien, rédigé à l'occasion des vœux 2005 :
Le huit mai, nous quittons la maison pour une fête du village. Chouquette nous poursuit. Elle miaule d’une façon déchirante. Nous avons l’habitude de la laisser dehors, mais ce miaulement désespéré nous émeut profondément. Il veut clairement dire : « si vous m’abandonnez au moment où je vais accoucher, au moins, vilains ingrats, au moins, laissez-moi à l’intérieur !» Françoise lui a préparé un panier d’obstétrique, avec coussin et serviette. Nous le lui installons dans la cuisine. Mais quand nous revenons, Chouquette est dans l’armoire ; elle s’est faufilée sous la barrière. Nous dénombrons cinq chatons, que nous redescendons dans le panier. Nous percevons alors comme un gémissement à l’étage, qui se tait lorsque nous montons. Un sixième chaton est tombé au milieu des sacs. Il est tigré, ses frères et sœurs sont noirs et blancs, Françoise les baptise « vaches folles », ils seront sacrifiés et le tigré baptisé « Ouimais cat » pour baliser notre mémoire (Huit mai 2004).
Ce chaton a un succès fou auprès des petits-enfants. Comme les poussins l'an dernier. Mais il résiste mieux. Sauf que sa mère le sèvre à trois semaines et démarre une seconde portée et qu’il faut acheter un lait spécial. Hors de prix.
Naissance juste après une première couvaison d'œufs ratée. Elle devrait nous permettre de rattraper le coup auprès des enfants. Mais Chouquette est méfiante. Nous ne savons pas où elle a mis bas. Je la couillonne en l’appelant pour ses croquettes. Elle sort d’un empilement de tôles où je découvre six nouveaux-nés. L’un est légèrement à part, je l’épargne, pour amuser les enfants. Mais il n’est pas question d’avoir trois chats. Quelques jours plus tard, je couillonne à nouveau, enlève le chaton de la nouvelle cachette et me retourne pour aller l'« euthanasier ». Chouquette me barre le chemin, pas si couillonnée que cela finalement. Elle ne miaule pas, elle me regarde simplement, mais d’un air qui veut dire « Et tu vas faire quoi, hein, exactement ? »
Comme nous avions craqué sous ses miaulements de désespoir, je craque sous son regard de mère courage et remets le chaton en place. Nous le baptisons Vincett (20 juillet). Si bien que nous avons maintenant, sous la neige de Noël, trois fauves à nourrir. Ils nous le rendent en caresses. Ouimais et Vincett sont deux mâles beaucoup plus câlins que Chouquette et semblent ne pas supporter d’être éloignés de nous. Cela nous aide à supporter la présence des prédateurs féroces qui entourent notre petite maison au milieu de la forêt. Ils se joignent à nous pour vous souhaiter une bonne année 2005 à la façon d’un calendrier du facteur :