Bombus hortorum ou lucorum ?
Je les ai longtemps appelés des « abeilles charpentières », cela m'arrangeait, cela me faisait des collègues pendant les travaux. Mais maintenant que les travaux sont finis j'ai pris la peine d'approfondir la question : il s'agit de simples bourdons, bombus, comme dans Les Voyelles de Rimbaud, et dont il existe de nombreuses variétés. J'hésite quant à celui-ci, même après examen attentif des bandes de couleurs qui le décorent comme un drapeau. Est-ce l'hortorum, qu'on dit hirsute et abondant dans les jardins, mais je l'ai trouvé dans la bibliothèque, ou le lucorum au collier et deuxième bandeau jaune citron, mais entre le jaune citron et le jaune canari, je me perds ?
Le vice de la vis indévissable
Nos députés se sont récemment penchés sur le problème de l’« obsolescence programmée ». Mais pour programmer, il faut vouloir, il faut en avoir l’intention, deux choses impossibles à prouver. Humblement je leur propose plutôt d’interdire les artifices visant à empêcher de simples réparations, ce qui, relevant du concret le plus basique, est facile à prouver. Exemple :
J’ai eu récemment trois appareils électriques en panne. Un aspirateur, une meuleuse et un sèche-cheveux. La seule cause en était la coupure des fils d’alimentation en cuivre à l’endroit où ils sont le plus souvent tordus, invisibles sous le plastique du cordon. Rien de ne plus simple à réparer. Il suffit au minimum de raccourcir, et au pire de changer le cordon et sa fiche. Cela fut rondement mené pour l’aspirateur, loué soit monsieur Dyson, puis pour la meuleuse, encensé soit monsieur Bosch, mais pour le sèche-cheveux, je butai sur deux vis indévissables. LE vice. Maudit soit monsieur Braun !
J’ai une (dé)visseuse électrique dont le coffre ne contient pas moins de quatre-vingt têtes différentes, de façon à s’adapter toutes les têtes de vis de la création. Des fentes plates, des fentes étoilées, des fentes hexagonales, des fentes rondes (sic), des fentes bilabiales, etc. mais rien pour les vis à fente spiralée du sèche-cheveux. Il m’a fallu plusieurs heures pour en venir à bout et s’il avait fallu payer un réparateur pour cette réparation simplissime, cela aurait bien coûté l’équivalent de dix sèche-cheveux. Sauf à compter le traitement des déchets.
Je reconnais toutefois que ma passion pour le bricolage de réparation dépasse parfois les limites du raisonnable. Quelques exemples :
Acier chromé très difficile à percer. Un seul boulon ne suffisait pas à rendre l'ustensile non intempestivement repliable.
Souvenirs, souvenirs
Cet été une éditrice m'a demandé des clichés de vélos couchés dans un décor de montagnes pour illustrer un ouvrage. Elle voulait des « clichés libres de droits », participant ainsi je suppose de l'élan actuel vers la suppression des droits d'auteur. Mais juste avant, elle m'avait demandé un cliché de la couverture de Tandem sur la Banquise, histoire de, sans le dire explicitement, échanger les droits contre de la publicité pour cette petite plaquette à l'italienne dont il doit bien me rester un millier d'exemplaires même si nous en donnons à tout visiteur de Montpoulet, tout visiteur en possession d'un visa s'entend, visiteur avec papier si l'on veut.
Ces clichés n'existaient encore que sur résines colorées, vous savez, ces espèces de tartines de confitures où la lumière creuse ici la fraise ou la mirabelle, là le cassis ou la tomate verte pour ne laisser passer que certaines couleurs quand on intercale la tartine entre une ampoule hallucinogène et un drap de lin blanc. Oui, c'est ça, j'avais oublié le nom, des dia-po-si-tives !
Il m'a donc fallu ressusciter le pilote d'un vieux scanneur à diapos, qui ne marche qu'avec Windows XP, extraire au Laguiole les tartines de leurs cadres sous verre, les ranger dans un petit chariot à crémaillère et que le scanneur a avalées avant de les recracher en millions de chiffres pour donner ça :
Dans les Landes et la Touraine...
Les bricoleuses
J’ai mis longtemps à l’identifier celui-là, parmi le million d’espèces d’insectes connues (Il y en aurait autant d’inconnues d’après les entomologues ; comment peut-on dire que la biodiversité s'étiole quand on n'a pas encore recensé toutes les espèces, faudra qu’on m’explique), tout simplement parce que, s’agissant pourtant d’une vedette de Montpoulet, la fameuse mouche scieuse, ou sirex géant, j’avais affaire ce coup-ci à un mâle, sans l’oviducte et la tarière caractéristique en scie égoïne. Lorsque j’avais présenté ici la femelle j’avais ironisé sur ces métiers de la construction associés à notre faune et après la mouche scieuse, l’abeille charpentière et la guêpe maçonne, à quand, avais-je demandé, la fourmi carreleuse, le papillon plombier et le scarabée électricien ? C’était négliger avec ces deux masculins, honte à moi, et ce sirex mâle sans scie me le rappelle, le fait que chez les insectes semble-t-il, la femme est l’avenir de l’homme depuis longtemps et que c'est elle qui bricole.
Topettelesmouettes
Maintenant que nos vélos sont équipés du positionnement par satellites, il nous faut revoir quelques certitudes : le col d’entrée dans la Principauté est à 663 m d’altitude et non pas à 650 m comme je l’avais hâtivement calculé sur carte en espérant qu’il fasse ainsi lieu de rassemblement pour la Confrérie des 650 (il s’agit du diamètre de leurs roues, en millimètres, en derniers défenseurs du système métrique pour le vélo) et la distance au premier village français, Saint-Victor, n’est pas de 2 km mais très précisément de 1604 m (il s’agit donc pile d’un mile anglais, de quoi accélérer notre adoption des mesures impériales pour renforcer notre dossier de candidature au Commonwealth —l’objet d’un prochain article)
C’est d’ailleurs l’informatique géopositionnée qui nous a remis sur les vélos. Quel bonheur en effet que, sans avoir à péniblement installer un aimant sur un rayon puis un capteur sur une fourche puis le compteur sur un tube du cadre, puis des piles dans le compteur, que de savoir depuis quelle heure on roule, combien de kilomètres on a parcouru et à quelle vitesse moyenne et maximale, où l’on s’est arrêté et si c’était pour pisser ou pour prendre une photo, à combien de coups par minute son cœur bat et dans combien de temps, donc, on est sensé passer de vie à trépas. C’est donc grâce aux satellites américains et c’est certainement M. Obama qui veille ainsi sur nous.
Enfin, lui ou sa femme, puisque la première fois que j’ai utilisé l’application, c’est une voix de femme qui est sortie de la sacoche où j’avais enfermé la tablette, pour claironner les informations listées ci-dessus. Avec un abominable accent, il va sans dire ; elle a dû apprendre le français sur internet, Mme Obama.
Ce qui nous a surtout remis sur les vélos, à vrai dire, c’est la sollicitation amicale. Autant, ci-dessus, les membres des divers clubs auxquels nous appartenons que des amis lyonnais pour qui nous sommes les régionaux de l’étape Ardéchoise ou les guides indigènes en Terres Inconnues…
...que les cyclo-campeurs détournés en Principauté par les annuaires tels que Warm Showers ou Cyclo Accueille Cyclo. Nous avons ainsi reçu Marion dont les photos suivantes, encore des selfies à l'ancienne, viendront compléter celle de son blog : Topettelesmouettes
L'Écho des Trois Clochers n°43
C'est un des périodiques du village français à la frontière de Montpoulet et il vient de sortir. Il contient ce 32é épisode de La Chronique de Montpoulet (deux par an, donc depuis 16 ans, cela donne le vertige). L'épisode reprend quelques articles déjà publiés ici.
32é épisode : Le cruel massacre de la martre
Résumé des épisodes précédents : Françoise et Bernard ont racheté en 1994 la ferme totalement en ruines de l’arrière-grand-père de Bernard, à Montpoulet, Saint Victor. Ils viennent d’abord y passer leurs vacances et défrichent. Ils retrouvent la source, une faune fabuleuse, des voisins hospitaliers tandis que la configuration cabalistique des fondations les fait espérer un trésor. Ils viennent s’installer dans une caravane en 1997. Leur permis de construire est accepté après trois recours, et les travaux vont bon train malgré l’amateurisme de ces néo-ruraux. Après avoir retourné son tracteur trois fois, Bernard fait écrouler les fondations de toute une façade, deux pins Douglas manquent tout juste lui coûter la vie, et leur élevage de poules est en butte à bien des malheurs.
Nos poules au port altier, à la cuisse légère et aux sots-l'y-laisse succulents attisent la convoitise des sauvages qui nous entourent, mais cette fois, c'est le bouquet, il ne s'agissait même pas de croquer cuisse ou poitrine, il ne s'agissait que de sucer le sang.
Ce fut alors un génocide sans révision possible : il n'y eût ni rescapée suspecte ni survivante logorrhéique. Les victimes étaient éparses, dans tous les coins où la bête immonde les avait coincées, livides et comme sortant du bain puisqu'il avait abondamment plu dans la nuit. Les larmes me montèrent aux yeux en imaginant la scène. Cela avait dû longtemps durer. Elles avaient dû m'appeler, normalement les cris m'éveillent, mais là, l'orage... La bête les avait assaillies l'une après l'autre, en avait fait son affaire pendant que les futures victimes erraient aveugles à la recherche de l'illusoire protection d'un recoin. Les larmes me sortirent des yeux à l'évocation de leurs naissances, certaines avec césarienne parce que dans la couveuse électrique, elles n'arrivaient pas à se libérer de la coquille. Les larmes coulèrent à l'évocation de leur affection pour moi qu'elles prenaient pour leur mère, à l'évocation de leur apprentissage de six mois : elles étaient prêtes à pondre. Et il n'en restait pas une de vive ! Alors, cette bête immonde, un vampire ? Vlad l'Empaleur ? Le fameux Comte Dracula ? Un zélé du centre de transfusion sanguine ?
Nos poules au port altier, à la cuisse légère et aux sot-l’y-laisse succulents attisent en effet la convoitise de nombreux barbares qui entourent notre petite maison dans la forêt : buses variables et éperviers communs, autours des palombes aux yeux rouges, chiens errants aux yeux de rage et naturellement, renards roux. Mais là, il ne s'agissait ni des uns ni des autres.
Nous nous étions protégés des premiers en installant des filets mais les rapaces arrivaient régulièrement à entrer, le dernier peu de temps avant ce total massacre.
Le rapt rhapsodique du rapace
Alerté par les cris, je n'eus que le temps... de me munir d'un vieil échalas en robinier. Il me fallait procéder comme avec les vipères : immobiliser la bête avec le bâton et lui saisir les pattes. Les vipères n'ont pas de pattes ^^ ? Bon alors, lui saisir les serres : cela correspond à la tête de la vipère, c'est avec cela qu'il attaque, pas avec le bec, en tout cas pas moi, il me fixe de ses yeux ronds comme si je l'hypnotisais.
Il avait déjà mangé presque tout le côté d'une des poulettes que nous avons créées sans poule, juste avec des œufs (résolvant ainsi une énigme millénaire : qui est premier de l'œuf ou de la poule ? L'œuf bien sûr ! La poule n'étant pour l'œuf qu'un moyen de se reproduire selon Samuel Butler). C'est la trente-et-unième que nous doivent les rapaces.
Ils trouvent toujours un petit trou... par où ils ne savent pas repartir, d'où les captures. C'est la quatrième (je m'empresse d'ajouter que j'ai toujours relâché : je suis un pro-nucléaire, pro-OGM, pro-gaz de schiste TRÉS écolo ! :D ). L'ami Antoine, ornithologue amateur, m'avait dit aux premières attaques ce n'est pas une buse, les buses ne s'attaquent pas aux poules, cela doit être un autour. Et bien la première capture, c'était une buse. La deuxième un épervier. La troisième fut effectivement un autour, animal imposant. Et là je crois bien être en présence d'un autour, ses yeux jaunes m'y font penser, sa taille moins, disons d'un juvénile comme disent les experts... sauf qu'un autour a les yeux presque rouges, comme quatre ans en arrière :
J'enferme l'animal dans notre cage à serins et comme le hasard fait bien les choses, j'attends la venue d'Antoine et de sa famille le soir même. Le rapace exhibé en plein diner fait son petit effet mais l'identification est incertaine : « un faucon, de toute façon, dit Antoine, peut-être un faucon hobereau... je reviens demain avec appareil photo et Guide Ornitho, de chez Niestlé et Delachaux. »
Antoine revint et à quelques traits de plumage reconnut un faucon... émerillon. Il ajouta pour tranquilliser les poules : c'est un migrateur, et après cette nuit en cage, il n'est pas près de revenir dans le voisinage !
Nos poules au port altier, à la cuisse légère et aux sot-l’y-laisse succulents attisent la convoitise de nombreux barbares qui entourent notre petite maison dans la forêt et les renards ont pour eux la ruse d’agrandir la moindre des failles dans la maille de la grille, patiemment, consciencieusement, jusqu’à obtenir un trou d’à peine 15 cm de diamètre, bien caché par quelque ronce feuillue et par lequel ils arrivent non seulement à entrer mais à extirper les corps de leurs victimes. Mais au moins c'est pour les manger ou en nourrir leurs petits, pas juste pour le plaisir de tuer.
Le renard roux de Roger
Très vite, pour les renards, il avait fallu prendre une mesure énergique et d’envergure. Aussi avions-nous décidé de faire d’une pierre deux coups : institutionnaliser la chasse au renard pour en réduire le nombre et en même temps nous angliciser davantage pour augmenter nos chances d’être admis au sein du Commonwealth : nous roulons déjà à gauche à Montpoulet, par exemple...
C’est à Roger que revient le mérite du premier gibier, un superbe mâle qu’il a occis d’un coup de... binette.
Il est clair que la méthode n’est pas très anglaise. La chasse au renard chez les sujets de sa Majesté ne se fait pas à binette mais à courre avec de nombreux chiens limiers. Nous avons dû adapter la tradition (qui remonte aux Celtes) à cause du terrain particulièrement accidenté de Montpoulet. Donc la binette.
Pas un rapace cette nuit d'orage, pas un chien errant, pas un renard roux, non : d'après nos voisins, le grand exterminateur, la bête génocidaire, c'est la fouine, de la famille des martres, mais à qui l'on doit le verbe fouiner et l'adjectif chafouin, rien de bien en somme. Et si les renards ont pour eux la ruse de cacher leur trou derrière une ronce, pour la fouine, même pas caché, le trou, et d'au moins vingt centimètres.
Je n'ai pas dit un mot des autres attaques de la nature que nous subissons sans broncher, comme celle des chiens errants, ou des frelons, mais je vous raconterai cela au prochain numéro.
Rebond de chaîne
La chaîne était fraîchement affutée, elle est entrée facilement dans mon mollet. Mais pratiquement sans douleur, alors j’ai cru à une égratignure et comme je n’étais pas seul je me suis dit que je regarderai plus tard, pour affoler personne, et puis j’ai senti couler, j’ai relevé la jambe du pantalon, la chaussette était toute imbibée de sang.
« Elle est comment la plaie, elle est nette ? » La jeune interne avoue ne pas supporter la vue du sang. Je suis en de bonnes mains.
Non, pas nette, la plaie. Une tronçonneuse, c’est pas fait pour couper net, surtout pas la viande. Quand je m’assieds aux pieds de Françoise et de son cousin Roger, il me faut la paume et le pouce pour recouvrir la plaie et comprimer. Pas nette, la plaie, béante pour tout dire, comme une bouche ouverte avec deux becs-de-lièvre, au moins. Cela retourne le cœur.
« Comment remonter à la maison ? s’inquiète Françoise, avec un rien de panique dans la voix. Aucune voiture ne peut arriver ici. Tu peux pas conduire le tracteur… tu es tout blanc ! Bon, déjà, je vais aller chercher une compresse.
— Y’a que les pompiers qui pourraient t’emporter sur un brancard, résume Roger, tu veux que j’aille les appeler ; je peux te laisser tout seul, tu vas pas tourner de l’œil ? »
Á l’hôpital, parmi toutes ces blouses blanches qui vont et viennent on ne sait pas pourquoi, la seule façon de reconnaître les médecins, c’est qu’ils portent un stéthoscope sur les épaules. Cela ne sert qu’à cela. Montrer qu’ils sont médecins. La jeune interne, un modèle fluet et modeste de jeune femme timide, du genre douée en maths mais pas en couture, le garde dans sa poche, on en aperçoit juste un bout de tuyau. Mais j’ai pu lire son étiquette de pochette.
« Mon neurologue m’a expliqué que c’était un concours comparable, statistiquement, à l’agrégation pour les enseignants, vous avez donc passé le concours de l’internat ?
— Oui, hélas !
— Décidément, me dis-je, je ferais peut-être mieux de me recoudre tout seul… Et pour la tester : Euh, vous avez vu comme le muscle continue à bouger, on dirait qu’il cherche à se réparer tout seul, c’est du péristaltisme, n’est-ce pas ?
— Vous avez fait médecine ? »
En fait c’est moi, me souvenant que je venais d’écouter Fun Radio sur mon téléphone tout l’après-midi, qui ai appelé les pompiers. Á la Préfecture, l’homme au téléphone ne trouvait ni ma commune, ni mon lieu-dit. Il croyait que je me trompais de département. Perte de temps : quand il m’a dit je vous passe un médecin, ma batterie était morte.
C’est là que j’ai entendu ce bruit de tôle, vraiment bizarre. Serait-ce le voisin Maurice, réquisitionné par Françoise, qui viendrait avec un tracteur brinquebalant ? Le chemin est pourtant trop étroit, seul mon japonais peut passer.
« Oui, il était question d’envoyer la cavalerie pour venir vous sauver, Monsieur, m’explique l’infirmière, arrivée dans un troisième véhicule…
— Ah oui, vous seriez venue à cheval ? Je joue sur les mots mais elle ne saisit pas.
— Non, bien sûr, mais ils avaient alerté un hélicoptère, les blessures à la tronçonneuse, on connaît, c’est grave. Puis, s’adressant aux pompiers : dites-moi, votre chut, il date de Mathusalem !
— Non, ce n’est pas le nôtre, c’est sa dame qui l’a fourni.
— Ma femme, je le dis toujours, c’est la Samaritaine.
— Très bien, ça a bien arrêté l’hémorragie, mais maintenant ils n’ont plus ces petits crochets.
— Effectivement, je m’en étais enfoncé un dans la peau, ça m’a fait mal ! »
Les jeunes pompiers, je les connais presque tous, un ancien élève, un ancien voisin, un qui est déjà venu pour un incendie… ils me racontent leurs autres interventions pour « rebond de tronçonneuse » : Y’avait ce type qui faisait du bois au-dessus de Vaudevant… on lui voyait plus l’œil, la lame lui avait tranché la gueule du front au menton, le nez était en lambeaux et l’œil, on l’a cherché, mais on l’a pas trouvé, alors on l’a emmené comme ça aux urgences… »
Le bruit de tôle, c’était Françoise avec une brouette (naïf et touchant) et avec la Compresse Hémostatique d’Urgence, le fameux chut (futé et efficace). Elle rappelle le 18 pendant que je me panse. Et comme le pansement me libère la main, je me lève, je remets la tronçonneuse dans son étui, l’étui dans la benne du tracteur…
« Reste couché ! faut rester couché ! Monsieur, il veut remonter tout seul ! »
— (Le 18 au bout du fil) : arrêtez-le, faut pas qu’il bouge !
— Il veut démarrer son tracteur !
— Empêchez-le, empêchez-le !
— Il n’écoute rien... assis-toi, on te dit ! »
Je n’allais quand même pas laisser les pompiers, pour une bêtise de débutant, me transporter en brancard sur 400 m de mauvais chemin. C'était aussi, quand même, le moment ou jamais de jouer les héros, mais dans l’émotion j’oubliai de solliciter les bougies de chauffe, et le moteur hésita quelques anxieuses secondes avant de démarrer. J’allais de mieux en mieux.
« Qu’en pensez-vous ? me demande la frêle interne,
— Très joli rôti de porc, combien de points ? Vous savez que c’est au nombre de points de suture qu’on reconnaît les plus belles blessures ?
— Voyons… deux points renforcés au centre, deux petits points aux extrémités et un, deux trois quatre points normaux, sans compter celui résorbable à l’intérieur. »
Et bien si, finalement, douée en couture !
Á montpoulet on ne plume pas que les poulets
Inspiré par un village français voisin où les habitants étaient tellement jaloux du bruit et de la fureur des villes qu’ils ont créé un quartier à l’image d’une banlieue, avec un mur dûment tagué et qu’il ont baptisé Le City, Notre Prince a décidé aussi de faire pareil qu’en ville : une sorte de salle de musculation où l’on se rendrait obligatoirement sans se fatiguer pour pouvoir mieux s’y fatiguer. La fatigue pour laquelle on paye est sans doute meilleure que celle pour laquelle on est payé.
Ici, faute de bâtiments, les appareils sont au grand air. Il y a un plumo-pi (plume-pin), autrement dit un écorçoir, qui vous développe les deltoïdes mieux qu’un anabolisant.
Il y a le fameux échenilloir dont j’ai déjà vanté les mérites, non pour éradiquer les processionnaires dont il vaut mieux laisser quelques cocons pour nos coucous, nos mésanges charbonnières et nos huppes fasciées, mais bien, l’engin à bout de bras pour atteindre le sommet des pins, pour tonifier le grand droit de l’abdomen.
Enfin, l’appareil le plus rustique mais sans doute le plus complet car il muscle à la fois les bras, les jambes, le ventre et le dos, c’est le balais (ici de maçon, mais l’antique balaï à base de genêts convient aussi) pour déneiger les rails d’accès à la Principauté.
31é épisode : Poules polies et poissons empoisonnés
Publié aujourd'hui dans l'Écho des Trois Clochers
Résumé des épisodes précédents : Françoise et Bernard ont racheté en 1994 la ferme totalement en ruines de l’arrière-grand-père de Bernard, à Montpoulet, Saint Victor. Ils viennent d’abord y passer leurs vacances et défrichent. Ils retrouvent la source, une faune fabuleuse, des voisins hospitaliers tandis que la configuration cabalistique des fondations les fait espérer un trésor. Ils viennent s’installer dans une caravane en 1997. Leur permis de construire est accepté après trois recours, et les travaux vont bon train malgré l’amateurisme de ces néo-ruraux. Après avoir retourné son tracteur trois fois, Bernard fait écrouler les fondations de toute une façade, et deux pins Douglas manquent tout juste lui coûter la vie (voyez les numéros précédents des Trois Clochers, ou bien www.montpoulet.eu).
Je devais au dernier numéro aller creuser là où y'a marqué « trésor » sur la carte mais j'en ai été distrait par de nombreuses attaques de prédateurs sur nos poules. Elles sont très convoitées, nous les tenons donc recluses. Et chaque fois que je les lâche, nous entrons elles et moi en compétition alimentaire. C'est notamment quand Françoise, notre Nonce Apostolique, incidemment Garde des seaux, marmites et casseroles, s'absente. Je dois alors veiller moi-même à mon alimentation. Et je vise au plus rapide, au plus simple et au plus proche, exactement comme les poules, ce que je résume souvent en deux alexandrins « Je repars, huile d'olive et salière à la main, brouter directement la salade au jardin ».
Par exemple, elles raffolent des vers de terre. Elles les aiment tellement, qu’elles sont prêtes à prendre tous les risques. Oui, le ver de terre est aux poules ce que le haschich est aux assassins (de l’arabe haschischin), c'est-à-dire que cela leur fait perdre toute conscience du danger. Lorsque je terrasse avec la mini-pelle, elles se glissent sous le godet avant même qu’il soit sorti de terre, et lorsque je veux avancer je dois prendre garde qu’aucune poule ne se soit déjà postée à l'avant d'une chenille. Et ce n’est pas qu’elles confondraient chenille et chenillette… Cette association pavlovienne pelleteuse-ver de terre est tellement inscrite en l’intellect de nos gallinacés qu’il suffit que je mette en marche le moteur de la première pour que les seconds accourent, suivent, ou précédent l’engin. Bon, je reconnais, les vers de terre ne m’intéressent pas. Leur goût est très décevant. C’est celui de la terre et je n’ai pas la patience de mitonner des sauces. Je les laisse donc aux poules.
(La larve de l'ergates faber, un gros parasite du bois, a comme le ver de terre le goût de ce qu'il ingère, sauf que là c'est le goût du bois ; il faudrait le faire jeûner sur de la truffe et alors je ne la laisserais pas aux poules.)
Les poules raffolent des fourmis. Moi de leurs œufs. J’en ai trouvé une fois des milliers entre deux tôles ondulées oubliées entre lesquelles elles avaient établi leurs quartiers. J’ai collecté l’oothèque, en ai sorti quelques aiguilles de pin et mis le tout dans une poêle avec un peu d’huile d’olive. Cela avait exactement le goût, en plus discret, en plus subtil, en plus délicat, des œufs de poule ! Il s’agit donc en la matière de leur laisser les pondeuses et de conserver leur ponte.
Non, là où je ne dois rien leur laisser, c’est quand elles prétendent s’attaquer aux Nombrils de Vénus. Non pas que la déesse en ait eu plusieurs ; je parle des plantes sauvages que le dictionnaire appelle « succulentes » et la prétendue sagesse populaire « grasses ». Ces plantes ressemblent à des nombrils, d'où leur nom. Et, on le sait peu, les poules raffolent de la verdure, de vraies herbivores. Qui passent donc allègrement d’un steak de vers à une salade verte. Heureusement que les nombrils poussent essentiellement sur les murs en pierre. Ma taille me permet alors de les brouter (brouter des nombrils, ah !) plus facilement que mes concurrentes qui, polies par force, me laissent faire.
Voilà pour la première partie du titre. La deuxième est plus dramatique.
J’ai tué tous les poissons du lavoir. Bien involontairement. En installant une terrasse, au-dessus du lavoir, en cœur imputrescible de sapin Douglas que j’abats, débarde et débite moi-même, voyez l’allitération. Du bois rouge. Pour ajuster, je rabote et c’est cela qui a tué les poissons. Je veux dire que les copeaux et la sciure sont tombés dans le bassin. Une sciure tout ce qu’il y a de plus naturel, un bois qui n’a connu ni l’engrais, ni le pesticide, ni le fongicide, ni l’insecticide. C’était oublier que la nature est tout aussi toxique que les produits chimiques, qui eux-mêmes proviennent d'ailleurs tous de la nature. La sciure de résineux tue les poissons, c’est comme cela, je l’ai appris à mes dépens. Et par dépens, j’entends aussi cette confusion totale entre naturel, chimique, sain et toxique. Par exemple les renards, buses et fouines sont tout ce qu'il y a de plus naturel, et.... tout ce qu'il y a de plus toxique pour nos poules : quelques jours après une attaque de faucon émerillon qui nous en a coûté une, un autre animal nous les a récemment toutes tuées, toutes ! Quel animal ? Je vous raconterai cela au prochain numéro.