MAGANA-MANYOVU une friture du lac Tanganyika

Publié par Prince Bernard

MAGANA-MANYOVOU, entre le Burundi et la Tanzanie, est une frontière africaine comme on les grave à Epinal. J'ai passé le poste burundien sans m'en apercevoir. Y avait bien une barrière, mais s'il fallait que je m'arrête à toutes les barrières, dans ces pays aux contrôles policiers incessants, je piquerais des crises de nerf ! L'officier d'immigration m'a rattrapé avec sa Land-Rover, vers quatorze heures, alors que je buvais de la goua-goua, de la bière de bananes, au sommet d'un petit col. Il m'a res­pectueusement prié de retourner à Magana où, m'assurait-il, il serait de retour dans une heure. Juste le temps qu'il me fallait pour aller au marché local pour  liquider mes francs burundiens et acheter des shillings tanzaniens pour trois fois moins cher qu'à la banque.

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Le bureau de l'immigration où je viens de m'asseoir, c'est la demeure de l'officier. Dans la cour au milieu des cases, emplie de femmes, on marche sur un épais tapis de haricots. Tous les voyageurs participent donc bon gré mal gré au battage des légumineuses du fonctionnaire. Le spectacle est coloré ; on cultive en effet au Burundi des haricots de couleur. Au moins dix couleurs différentes, du jaune canari au noir de jais, en passant par le caca d'oie et le rouge zébré de vert. Si colo­ré d'ailleurs que j'ai d'abord cru à de petits œufs de Pâques en sucre!

L'officier ne rentre qu'à huit heures du soir. J'ai installé mon sac de couchage sur ses haricots non écossés et bien... fraternisé avec sa sœur, institutrice à Bujumbura, et au corsage très échancré. Pour se faire pardonner, le gratte-papier m'offre une friture de petits poissons du Lac Tanganyika et une bière Primus en canette de 80 centilitres. Et cette nuit, sur le matelas de haricots, si l'on en croit mon passeport, je ne dors pas sur terre puisqu'officiellement sorti du Burundi, je ne suis pas encore entré en Tanzanie.

Il me faut toute la matinée suivante pour parcourir les vingt kilo­mètres jusqu'au poste tanzanien tellement le paysage requiert d'admiration (dominant le Tanganyika) et le champ de patates baptisé « route d'intérêt général », de précautions. Vers treize heures, je me présente à la barrière tanzanienne. Pas de portier, et la barrière semble cadenassée depuis le départ des Anglais. J'en fais le tour. Poste désert, pas de drapeau au mât, le sol tellement raviné autour du bâtiment qu'il a fallu ajouter deux marches à l'escalier, par dessous.

J'attends un quart d'heure, entouré de tout jeunes enfants intrigués par mes pieds. Ils sont tellement couverts de poussière qu'ils en sont noirs. Or, c'est bien connu, un mouzoungou, c'est blanc, de la tête aux pieds ! Un officiel arrive enfin en agitant un trousseau de clés d'un air im­portant. Après m'avoir fait asseoir en face de son bureau, il se plonge dans la lecture d'une note de service pour bien me montrer que c'est lui l'Autorité et que malgré la couleur de ma peau sous la poussière, je ne lui en impose pas. La cérémonie du tampon dure un deuxième quart d'heure puis mon tamponneur patenté me demande d'attendre sur les mêmes mar­ches rajoutées par en-dessous l'arrivée de l'officier d'hygiène publique. Pour amuser les gosses cette fois, je sors toutes les lames de mon couteau suisse, même la règle à calculer. J'ai refermé la scie à métaux et m'apprête à expliquer l'usage de la poêle à frire quand un drôle de zigue me demande mon carnet de vaccinations.

Je m'en aperçois une seconde avant lui, que ce foutu vaccin anti­cholérique est daté de l'année dernière. A Khartoum, au mois de janvier, on a simplement commis l'erreur classique en début d'année: écrit 81 au lieu de 82. Personne n'a rien vu jusqu'à présent mais pour cet officier de santé, oublié aux tréfonds de la brousse tanzanienne, c'est un peu de dis­traction:

— Je suis désolé monsieur, fait-il d'un air sérieux, modèle pres­crit, votre vaccin est périmé et je vais être obligé de vous garder cinq jours, le temps que la maladie se déclare, si vous en êtes porteur.

Après avoir intérieurement souri à l'idée de l'intéressant record que cela constituerait, six jours pour passer une frontière, j'entreprends de faire comprendre au fonctionnaire que le vaccin soudanais placé après le vaccin portugais daté de juin 1981, ne peut pas avoir été inoculé avant. Cela me prend le quatrième quart d'heure du rallye frontalier mais j'y parviens. L'officier de santé, d'un geste résolu, un peu trop appuyé peut-être, rectifie lui-même la date du vaccin.

À la douane, troisième épreuve du jeu de piste, cent mètres plus loin, cinq douaniers, pas un de moins, m'ouvrent la porte de leurs bureaux poussiéreux. Le Président Nyerere y fait la grimace en trois exemplaires et c'est aussi en trois exemplaires, sans colère puisque mon vaccin anticholérique est à jour, que je déclare n'avoir pas un seul shilling tanzanien sur moi mais encore cinq « Francs bou ». Il est cinq heures du soir quand je m'arrête dans une tea-shop de Manyovou pour dépenser quelques shillings, de contrebande donc.

 

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