Le Trésor de Montpoulet : quelques bonnes pages

Publié le par Prince Bernard

Le Trésor de Montpoulet : quelques bonnes pages

Le Trésor de Montpoulet est sous presse, quelques bonnes pages en attendant :

1- (Il n’est pas) Permis de construire

     Pour monter notre dossier de permis, nous avions fait appel à un entrepreneur de maçonnerie qui avait fait le déplacement en compagnie d’un jeune architecte stagiaire. Nous apprendrons plus tard que la visite (les pierres émergeant à peine des broussailles, le chemin même pas accessible à un véhicule léger) avait persuadé l’entrepreneur que nous n’y arriverions jamais. Le jeune architecte, au contraire, s’était enthousiasmé pour le projet et nous avait proposé de formidables idées. Il avait conçu, pour le petit bâtiment, un plan génial qui mêlait le bois à la pierre, et, rebondissant sur l’état actuel de la ruine, comme éventrée par une explosion, en augmentait la surface par des excroissances vitrées un peu à la façon des bow windows des maisons anglaises. Malheureusement, je ne me sentais pas de taille à réaliser ce type de travail. Il me fallait de la maçonnerie simple et traditionnelle, le bois m’étant complètement étranger.

Tellement étranger que je n’aurais pas su à mon arrivée ici distinguer un frêne d’un alisier ou d’un sorbier. Mon ignorance s’étendait au bois de chauffage et me valut une honte cinglante. Ma grand-mère habitait toujours le village proche de Navas et se chauffait toujours au bois, avec un foyer à même le sol de sa cuisine, comme cela se pratiquait depuis des millénaires. Elle trouvait difficilement à s’approvisionner et lors de ses visites à Montpoulet, elle ne manquait pas de faire remarquer que tous les pins que nous avions abattus pour ouvrir les chemins (et qui, d’après Maurice, « ne valaient même pas le coup de tronçonneuse »), et bien selon elle, « il y en a qui s’en contenteraient bien pour se chauffer ».

Je lui apportai donc ce que je pouvais transporter en voiture, pêle-mêle, sans trier. J’avais pourtant bien intégré sa leçon en matière de bois de chauffe : « Mémé, quel est le meilleur bois pour se chauffer ? » lui avais-je demandé un jour en pensant « quelle essence de bois, est-ce le frêne, le hêtre ou autre ? ». Elle m’avait répondu, en ménageant son effet, toute paysanne rusée qu’elle était : « Le meilleur bois pour se chauffer, mon petit, et je peux te le dire puisque j’ai brûlé du bois toute ma vie, et bien, c’est le bois… sec ! ».  

Et je lui en avais donc apporté du bois sec, très sec, qui était au sol depuis longtemps. M’était ensuite revenue la réflexion selon laquelle je me serais moqué d’elle en lui apportant du bois... pourri. Aïe !

2- Pour qui sonne le glas ?

« Le Branca, il était bien copain avec votre arrière grand-père, me dit-il une fois sans parvenir à me tutoyer. Un jour il était venu tuer le cochon à Montpoulet, il avait bien neigé, et vous savez, tuer le cochon, en ce temps-là, c'était pas que tuer le cochon. Le Branca, quand il débardait du bois avec ses bœufs, c'était du 18 ou 20 litres de vin par jour qu'il buvait. Avec ses deux ouvriers, mais quand même... Donc, il était reparti en pleine nuit après avoir tué le cochon et bien bu. Mais le lendemain, le Branca, qui était le beau-père du sabotier, il était pas chez lui. Ses garçons viennent ici, personne, alors ils le cherchent partout et ils finissent par le trouver, sous la neige et les broussailles. Il avait tiré tout droit, du sommet, vous voyez, là où y a le châtaignier, donc il était tombé dans le chalet d'en dessous, puis dans celui encore en dessous et là, avec la neige et les buissons, plus moyen d'en sortir, donc il s'était endormi sur place. Ils l'ont amené à la maison et l'ont mis près du feu, comme un petit cochon à la broche. Il était gelé, mais il s'en est tiré. Un petit bonhomme c'était, mais dur, mais dur ! » 

« C'est pas comme Le Vové, lui les gendarmes lui mettaient les menottes, il demandait à pisser, on lui enlevait les menottes, il leur pissait sur les pieds, ils faisaient un pas en arrière et il foutait le camp… Ma mère en avait peur, tout le monde en avait peur, il mettait le feu à tes meules de foin si tu lui payais pas à boire ; il arrivait en chantant la Messe des Morts, tu l’entendais de loin, t’avais plus qu’à sortir la bouteille et pendant que tu trayais tes vaches, il buvait la bouteillle dans son coin et après il disait ''je vous embête, allez'' et il partait dans la ferme d’à côté. Mort d’un coup de couteau, donné par son meilleur copain, à même pas cinquante ans. Il habitait à Berger. Une fois il a fait sonner le glas pour la mort de son père. Le père arrachait des patates, il lui dit : 

— T’entends le glas ? 

— Oui, qui c’est qui peut bien être mort ? 

C’est toi ! Ah ah ah.. Il l’avait dit à Fonsou, et Fonsou n'avait pas cherché à comprendre. »C'était donc Fonsou, (Alphonse), le frère du Tuné (Fortuné), qui était tout le temps en train de frotter quelque chose ou à sonner les cloches. C'est à cela que par tradition on employait les simples d'esprit. On en faisait des auxiliaires d'église, d'où le cruel sobriquet de « bedeaux » donné aux Ardéchois par les Drômois.

3- Montpoulet, paradis fiscal

Cela n'a pas manqué. Le seul terme de « Principauté » évoqua aussitôt chez certains la perspective de gruger le fisc et d’éviter de contribuer au bien public, ce qui, comme on le sait maintenant bien mieux qu’avant, consiste à payer des intérêts aux banques dont nos gouvernements successifs, par leurs largesses tous azimuts, se sont rendus les débiteurs. 

Alors nous acceptons. « Nous, Bernard 1er, Prince-Evêque de Montpoulet, décidons de rémunérer les sommes qui nous seraient confiées à l’indice M (comme Madoff) + 10 par semaine. » C'est-à-dire que pour 1000 euros que l’épargnant nous remettrait, nous lui retournerions, dès la semaine suivante, le temps de vérifier que son chèque n’est pas en bois (du bois nous en avons assez) la somme de 1200 unités de monnaie du pape (UMP), en espèces :

 

Le Trésor de Montpoulet : quelques bonnes pages

4- Mais au bout de la patte, un pistolet. 

On nous dit partout qu’il faut défendre la forêt et les arbres qui nous protégeraient du réchauffement de la planète. Moi, je dis que les arbres se défendent très bien tout seuls et je le prouve : juste avant Noël un arbre que je voulais abattre m’a cloué au lit et, ce qui est encore moins banal, a cloué le médecin dans le même lit que moi. Voici ce qu'il se passa : 

C’était donc, d’après les gens compétents, la descente de la sève et il était temps pour moi d’abattre le bois pour la charpente. J’achetai cinq chaînes, nettoyai le filtre à air de ma Stihl 026C et me présentai au pied du beau Douglas qui présentait un vice incorrigible puisqu’il était courbé à la base. Le scieur m’avait dit qu'il fallait le brûler. Je m’étais dit on verra bien.  

Les arbres ont été plantés serrés dans ces anciennes parcelles cultivées et il est difficile d’en abattre un sans qu’il reste accroché à ses voisins, un peu comme une famille retiendrait l’un des siens qu’on voudrait enlever. Bien que j’en sois prévenu par quelques déboires passés, c’est ce qui m’arriva là. J’essayai plusieurs fois de secouer l’arbre en utilisant un tourne-billes mais rien à faire. Je revins le lendemain avec Françoise, m’énervai de nouveau sur le tourne-billes et quand je me baissai au pied d’un deuxième arbre que je devais abattre pour qu’il ne retienne plus le beau Douglas, je ressentis comme un craquement dans les lombaires, mais sans douleur. Je ne le mentionnai même pas à ma très chère. 

Françoise devait me prévenir lorsque le beau Douglas commencerait à bouger. Elle se tenait à distance respectable et évidemment, lorsqu’elle hurla que le beau Douglas me tombait dessus, je n’entendis absolument rien à cause du moteur de la tronçonneuse. Elle paniqua et m’envoya des bouts de bois. Je n’en vis absolument aucun, trop absorbé par ma ligne de coupe.

Bon, pas de panique, le beau Douglas ne m’est pas tombé dessus. Mais j’avais maintenant trois arbres à couper en tronçons ou à débarder. Je ne m’arrêtai qu’à la nuit tombée, les lombaires sensibles mais sans plus. Le lendemain dimanche par contre, j’expérimentai la plus atroce douleur de ma vie lorsque je cherchai à quitter le lit. La moindre esquisse de mouvement tétanisait mon dos à la manière, je suppose, d’un courant de haut voltage. Il me fallut une bonne demi-heure pour m’approcher du bord du matelas pour… uriner dans une bouteille. Je dus donc accepter que Françoise appelât le médecin, ce qui ne m’était pas arrivé depuis des lustres. L’homme de l'art était en déplacement mais il promit de venir dès que possible. 

 

Ce fut seulement vers 16 heures. J’étais encore cloué sur ma couche comme un papillon sur la planche d’un collectionneur. De fait, notre lit, dans la Mésou do Vieux, est en planches. Elles-mêmes clouées à une structure de rondins de châtaignier boulonnés aux pannes du toit. Un lit suspendu, donc, auquel nous accédons par deux échelles verticales. Dessous, il y a les armoires. Cela avait beaucoup fait rire nos voisins que nous mettions notre lit sur l’armoire. Le médecin riait aussi, un peu jaune, mais on ne pouvait pas faire autrement. Il vint donc s’accroupir à côté de moi dans le lit suspendu, à deux mètres du sol. Il me fit une injection, promit un effet miraculeux dans les prochaines vingt minutes, et se retourna pour descendre. Je le vis alors blêmir. « Je suis sujet au vertige » souffla-t-il. Il entreprit pourtant de descendre face au vide et cela n’y manqua pas, il se crispa soudain, incapable d’aller plus loin, cramponné aux rondins de châtaignier. Là, je me demandai s’il n'allait pas aussi falloir appeler les pompiers pour sortir le médecin de mon lit.

 

C’est Françoise qui joua les pompiers. En lui prenant les chevilles, elle aida le praticien à se retourner puis à descendre patiemment les échelons. Les Douglas n’avaient qu’à bien se tenir, j’étais en voie de guérison, tout seul dans mon lit suspendu. Mais on pourrait bien tirer une morale de cet épisode : prenez exemple sur le beau Douglas, ne vous laissez pas abattre ! Et clouez sur une planche l’outrecuidant bûcheron qui s’en prendrait à vous !

 

Ce même Douglas qui menace maintenant de partir dans le vide. C'est une course folle, j’ai le matériau principal à mes pieds, les pierres. J’ai le liant dans la bétonnière. J’ai l’angoisse de voir le reste s’ébouler sur moi légèrement atténuée par un vague étayage de madriers et de rondins… j’élève donc, en deux jours, les pieds dans la boue, sans fil à plomb ni cordeau, deux contreforts pour soulager les deux bouts de murs qui encadrent le trou béant. 

Et des ossements, un peu plus loin, la pluie en a mis d’autres au jour. Un magnifique genou que je m’évertue les jours suivants à dégager à la petite truelle, en archéologue patient. Puis ce qui ressemble à des doigts, puis un fémur, puis une autre jambe. Pour dégager la suite, enterrée trop profond, je dois ramener la mini-pelle et travailler avec tout le doigté dont je suis capable avec les joysticks. Là je mets au jour tout le thorax, côtes bien nettes, les omoplates et enfin le crâne. Très détérioré par le séjour en terre acide. Un peu allongé sur la mâchoire où je prélève une dent, une énorme dent. Une dent de ruminant. Mon esprit cartésien pousse un soupir de soulagement, je ne suis que sur une nécropole animale, et pour concurrencer Thèbes et la Vallée des Rois, je peux repasser, mon squelette doit être celui d’un veau. 

Mais au bout de la patte, un pistolet.

 

Une patte de veau tenant un pistolet ? En voilà une énigme ! En voilà du suspense ! Non ? Trop peu vraisemblable ? Puis-je embêter le lecteur avec une nouvelle intrusion ? Parce que finalement, tout ce que je raconte, avec son allure de vécu, n'est peut-être que fiction… Quand on raconte une histoire, le but c’est d’intéresser son auditoire, il faut donc recourir à certains artifices. Et donc, c’est bien tentant, même quand on raconte une histoire authentique, de recourir à de la fiction. On dit aussi que la fiction doit être vraisemblable alors que la réalité n’a pas besoin de l’être. Ici la réalité a la vie dure, l’argument est inoxydable : il y a bien un pistolet.

Mais pas là, entre les « doigts » du veau, c’est vrai, je le dis tout de suite pour me faire pardonner, mais un peu plus loin, sur le chemin vers Gompaloup, sur le chemin en direction du trésor, comme si quelqu’un avait voulu le défendre. Oh, et puis, pas un pistolet récent avec cela, il n’en reste d’ailleurs que le canon et le chien ainsi qu’un ressort que je ne sais pas identifier. Tout ce qui était en bois, la crosse, a disparu. Aussi, grâce à la photo qui suit, je vais mettre le lecteur à contribution, pour qu’il m' aide à résoudre l’énigme, notamment avec l’âge de ce pistolet, quelle époque, quelle période trouble de l’histoire qui aurait donc conduit l’ancien habitant de ces lieux à s’armer pour aller cacher son trésor à Gompaloup ? Si le lecteur a une idée, merci d’écrire à l'éditeur.

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5- Dégonflé par un arbre

Ouh là, et vous n'êtes pas allé consulter ? 

— J'avais les collègues du voyage en Angleterre à la maison et la douleur était soutenable... et hier je devais rendre les copies de mes 4e. 

Défaites-vous le haut ! » 

Il sortit un vieux stéthoscope d'un tiroir. Il m'ausculta et se précipita sur le téléphone en me disant : « J'appelle mon copain pneumologue ». Je l'entendis dire « Je n'entends pas le poumon droit ». Puis à un collègue qui sortait la tête de son bureau en entendant et qui paraissait douter puisque j'avais monté les cinq étages à pied : « C'est un Ardéchois, il coupe son bois lui-même, c'est un dur ! ». Aux urgences non plus ils n'y crurent pas, à ce diagnostic de pneumothorax par un neurologue. « D'habitude ces cas-là arrivent à l'horizontale,» me confierait plus tard l'infirmière de l'accueil en s'excusant, « et vous aviez l'air tellement en forme. »  

 

Mais, quand même, on me prit en charge. On m'allongea sur un chariot et comme dans les films, je vis défiler les plafonds, et les étiquettes des salles. « Salle de dégravillonnage », marrant à conjuguer : j'aurais aimé, Madame l'infirmière, que vous me dégravillonnassiez. La radio confirma. « Regardez, m'expliqua le pneumologue, votre poumon est tout ratatiné en bas, vous venez de passer trois jours sur un seul poumon, suite à un décollement de la plèvre.  Mais on va encore faire un scanner parce que si là déjà on voit bien la fracture de la côte, il ne faudrait pas qu'il y ait d'autres lésions. » 

 

« Vous êtes trop musclé monsieur, je n'arrive pas à percer !  » s'exclama le pneumologue une heure plus tard en « salle de déchocage ». Et tout l'aréopage de jeunes stagiaires et internes, que des femmes, l'infirmière m'avait prévenue en s'excusant, de me regarder d'un air admiratif. Donc je bombe le torse, enfin, j'essaye et je commente : « c'est dans un roman de Thomas Hardy que le héros doit faire la même chose à une cinquantaine de brebis suite au gonflement de leur panse, je me sens comme une brebis... » Rires polis. J'en rajoute une couche « Jusqu'à présent la seule opération chirurgicale que j'ai subie de ma vie, c'était l'ablation... d'un bouchon de cérumen ». Rires nettement plus affirmés. Et un peu plus tard, au troisième trocart, quand le praticien coud le drain en place et applique une sorte de valve : « Maintenant c'est à une piscine gonflable que je me fais penser. » Éclat de rire général.

 

6- Nous nous chauffons au sans-plomb 95 

Oui, nous nous chauffons à l'essence. Vous vous dites sans doute qu'à l'instar de Jean de Florette qui voulait « cultiver l'authentique », je vais faire dans le spirituel et prétendre à la chaleur de l'essentiel, prétendre qu'à approcher du sens profond de la vie, de la substantifique moelle de toutes choses, l'on se réchauffe le cœur et les arpions autant que l'esprit. Pas du tout. Vous vous attendez peut-être, qui sait, me connaissant mal, à me voir donner dans l'huile essentielle et ses vertus de panacée multicartes. Mais il ferait beau voir que je me lançasse, à mon âge, dans le New Age et ses niaiseries. Non, c'est bien du sans-plomb 95 que je parle. 

Cela ne me coûte pas cher, à peine dix litres par an, et cela me réchauffe même à l'extérieur de la maison. C'est pas nouveau, cela ne vient pas de sortir, c'est bio, local et équitable puisque je ne traite pas, je ne sors pas de chez moi et tout le bénéfice m'en revient. Et forcément, avec une aussi petite quantité d'énergie fossile brûlée par an, cela me fait une empreinte carbone en béton armé...

Évidemment, et oui, y a un truc, il ne faut pas brûler cette essence dans une chaudière banale, ni même dans un réchaud de camping. Moi, je la verse dans une petite machine révolutionnaire qui ne mesure pas plus de 70 cm de long sur à peine 15 de large et de haut. Cette petite machine a eu le grand mérite de remplacer les va-et-vient d'un outil millénaire par le mythique cercle sans fin du mouvement perpétuel. Cette petite machine, surtout, je ne la garde pas dans la maison, elle y ferait trop de bruit. 

Non, pour le chauffage, je l'emporte au loin dans la forêt et là, grâce à la chaîne à dents qui tourne autour du bras de la machine, j'abats et je débite des arbres, ce qui commence à me réchauffer pas mal, même quand il gèle, et j'enfourne les bûches ainsi produites dans notre poêle-cheminée. Et finalement, tout ce que nous payons, ce n'est bien que de l'essence.

 

7- Lettre ouverte au Président d'Enedis

Monsieur le Président du directoire, Tour Enedis -34 place des Corolles

92079 Paris La Défense Cedex

 

Cher Monsieur, 

J'ai bien reçu votre courrier me prévenant d'une prochaine coupure de courant et je me réjouis que vous cherchiez à réduire la gêne occasionnée chez vos clients ; je sais que beaucoup s'en plaignent. Mais ce n'est pas mon cas. J'avoue même que la nouvelle me laisse complètement froid.

En effet je ne demeure plus au même endroit, et si j'ai eu votre courrier alors qu'il utilise un nom et une adresse caduques depuis 20 ans, c'est que le facteur, qui me connaissait bien, l'a fait suivre à mon petit-fils qui habite tout près. C'est à lui que je dicte ma réponse. J'habite maintenant sur une terrasse du village qui non seulement jouit d'un extraordinaire panorama sur le Mont Blanc, d'où mon insistance à ce qu'on m'y installe, mais également d'un taux d'ensoleillement propre à réchauffer mes vieux os en toutes saisons, et ce sans la moindre électricité.

De plus la lumière ne m'est plus guère d'utilité puisque je me suis habitué à l'obscurité intégrale ; les sornettes concernant la vie éternelle baignée par la glorieuse iridescence divine, j'en suis revenu : à peine quelques vers luisants les soirs d'été. Vous m'invitez enfin à vous joindre par téléphone mais les mobiles n'existant pas à l'époque, le mien n'a pas été enterré avec moi.

Cependant, quoique votre lettre ne puisse jamais altérer l'irrémédiable de mon état, je vous sais gré de continuer à m'adresser du courrier, cela distrait beaucoup mon petit-fils. 

 

 

 

8-Le rapt rhapsodique du rapace

Alerté par les cris, je n'eus que le temps de me munir d'un vieil échalas en robinier. Il me fallait procéder comme avec les vipères : immobiliser la bête avec le bâton et lui saisir les pattes. Les vipères n'ont pas de pattes ? Bon alors, lui saisir les serres : cela correspond à la tête de la vipère, c'est avec cela qu'il attaque, pas avec le bec, en tout cas pas moi. Il me fixait de ses yeux ronds comme si je l'hypnotisais. 

Il avait déjà mangé presque tout le côté d'une des poulettes que nous avons créées sans poule, juste avec des œufs (résolvant ainsi une énigme millénaire : qui est premier de l'œuf ou de la poule ? L'œuf bien sûr ! La poule n'étant pour l'œuf qu'un moyen de se reproduire, selon Samuel Butler). C'était la trente-et-unième que nous devaient les rapaces. 

Ils trouvent toujours un petit trou dans le grillage du dessus, par où ils ne savent pas repartir, d'où les captures. Je m'empresse d'ajouter que j'ai toujours relâché. L'ami Antoine, ornithologue amateur, m'avait dit aux premières attaques : « Ce n'est pas une buse, les buses ne s'attaquent pas aux poules, cela doit être un autour des palombes. » C'était une buse. La deuxième était un épervier. La troisième fut effectivement un autour, animal imposant. Et là je crois bien être en présence d'un autour, ses yeux jaunes m'y font penser, sa taille moins, disons d'un « juvénile » comme disent les experts... sauf qu'un autour a les yeux presque rouges, comme quatre ans en arrière :

 

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9- Le sceliphron et le cerf-volant

 

Ces Circaètes Jean le Blanc qui nous mangent les serpents, c'est un signe certain que la nature ne nous en veut pas trop. D'ailleurs nous avons bénéficié dans nos travaux de l'aide d'animaux artisans.

Il y eut d'abord, la plus utile au démarrage des travaux, la guêpe maçonne. Je l'admire mais Françoise s'en plaint : elle en trouve partout quand elle fait le ménage, parfois même dans les armoires, et ce coup-ci entre les joints de caoutchouc des fenêtres, la bestiole se faufilant par les trous d'évacuation d'eau pour venir construire au sec ses petites capsules d'argile, en bonne maçonne à l'ancienne, comme quand on bâtissait en pisé.

 

 

 

Le Trésor de Montpoulet : quelques bonnes pages

Á l'intérieur elle a pondu un seul œuf. Et elle a comblé le restant de l'espace avec de minuscules araignées multicolores, un véritable arc-en-ciel, qu'elle a paralysées d'un petit coup de venin mais qui resteront vivantes, de la viande fraîche sans frigo ni séchoir, jusqu'à ce que la larve s'en nourrisse.

 

 

Le Trésor de Montpoulet : quelques bonnes pages

Il y a de nombreuses espèces de guêpes maçonnes. Les nôtres, spécialisées dans l'argile avec araignées, (il y en a d'autres qui bâtissent avec du sable et stockent des chenilles, par exemple) s'appellent des sceliphron pirifex. Et cela m'a beaucoup encouragé, l'exemple du sceliphron. Donc je fais le sceliphron. 

Je fais le sceliphron avec du granit, père de l'argile, qu'il m'arrive de bâtir en courbes. Mais quand il faut bâtir à angles droits je fais le sceliphron savant en appliquant le théorème de Pythagore (le système 3,4,5)... Je fais aussi le sceliphron opportuniste quand d'une pierre qui me paraît anormalement plate je remarque quelques angles vifs et en fais une niche.  

Je fais le sceliphron opiniâtre en allant chercher des tonnes de pierres partout dans la montagne et en les empilant selon les règles de la limousinerie. Je fais le sceliphron et je ne me lasse pas de la magie qui me fait faire du droit, du perpendiculaire et du rectiligne à partir du tordu, du biscornu, du patatoïdal et de l’oblique. Rien qu'en faisant comme le sceliphron.

 

 

10- Ode à nos dignes

Par respect pour les âmes sensibles, je ne reproduirai pas ici les images que j'avais publiées sur mon blog. Surtout ne pas voir les images : c'est arrivé à une jeune collègue qui a prévenu l'Académie que mon adresse électronique professionnelle avait été piratée et conduisait à un site de torture animale. Les chattes attachées à la table relevant la tête, les yeux phosphorescents, pour se regarder ouvrir le ventre...

Elles avaient été opérées la veille, par un ami cycliste incidemment vétérinaire, sur la table de la cuisine, instruments stérilisés à l’eau de vie de poire (la meilleure), l’une, Patchouk, d’une ovariectomie, et l’autre, Pataki, d’une ovaro-hystérectomie, bref stérilisées après rasage, incision de la peau, découpage des abdominaux, extraction des boyaux et j’en passe. Elles avaient récupéré toute la nuit dans la salle de bain, comme des zombies, en proie à toutes les hallucinations (le copain précise que l’anesthésique vaut à sa profession d’être cambriolée, tant l’effet hallucinogène est goûté par les spécialistes). Nous étions allés vérifier que tout allait bien, avions abondamment commenté qu’elles aient, dans leur chambre de réveil improvisée mais dûment carrelée, interverti les cartons qui leur servaient de lits médicalisés et Françoise avait décidé qu’il fallait, maintenant que la salle de bain sentait le fauve, les installer au salon. Mais dès qu’elles eurent vu la lumière, dès que leurs rétines eurent imprimé le vert de la forêt, dès que leurs tympans eurent capté le chant du coq, dès qu’elles eurent compris que la liberté ne tenait qu’à une vitre, nos vaillantes chattes ont voulu sortir.

 

Pas question d’appeler le 115 ou le 911, pas question de gémir et d’emmerder le monde avec ses états d’âme, pas question de demander une dose de morphine, pas question de se faire offrir une cure thermale, suivie de huit jours d’arrêt maladie parce que « c’est bien connu, la cure, ça fatigue », ou de se faire prescrire une pile de sédatifs par le premier médecin vénal venu, pas question d’aller pleurer chez Brigitte Bardot, le MRAP ou les antispécistes, pas question de réunir toute la famille bêlante à son chevet, pas question de réclamer un seul millionième de placebo dilué… non, juste aller d’un pas hésitant se terrer dans un trou et attendre que la douleur passe ; mordre dans la pipe sans laisser une seule plainte s’échapper ; mourir s’il le faut, mais rester digne.

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