Des Circaètes Jean Le Blanc à Montpoulet

Publié le par Prince Bernard

 

          Nos nouvelles poules à cou de vautour et regard d'acier (et qui ne pondent toujours pas, la modification génétique aurait-elle fait dégât collatéral ?) ont attiré une réaction des cieux, ils nous ont dépêché des aigles. Un couple et son aiglon.

          Au début, en mai, la taille de ces nouveaux rapaces avait attiré mon attention mais sans plus. Je les prenais pour des milans, mais j'avais envoyé un cliché de leur silhouette à un spécialiste de la Frapna et la réponse fut nette : Circaéte Jean le Blanc, ou « short toed snake eagle »  (aigle serpentaire à serres courtes)

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          En juin, des visiteurs cyclistes, alertés par des cris, remarquent que les parents se posent toujours au même endroit, sans doute pour nourrir leur aiglon. Nous prenons des repères par rapport à des branches d'acacias sèches, l'une blanche, l'autre noire.

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          Pour essayer ce trouver le nid d'aigle, je suis donc parti jusqu'au Jardin des Hespérides, un ensemble de ruines au lever du soleil qui pourrait bien constituer le mythique Gompaloup où serait caché le trésor de Montpoulet. J'ai dépassé le bosquet de pommes d'or (des figues de barbarie en réalité, à cette altitude et latitude, une bizarrerie comparable à celle du mythe grec), à cette époque en superbes fleurs

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...et failli poser le pied sur le monstre, la grosse vipère aspic qui garde le jardin, et j'ai escaladé le frêne qui pousse à ras du mur. Pas facile, il me faut d'abord poser un genou sur la branche la plus basse avant de me hisser, l'autre jambe sur la pointe des pieds sur une des pierres  du mur en pierres sèches. C'est périlleux, mais dans les îles aussi, ce sont les quinquagénaires qui grimpent aux cocotiers.

 

          Je venais de bien le voir aux jumelles, le couple de Circaètes Jean le Blanc, apporter une énorme couleuvre jaune et noir à leur poussin. Leur nid ne pouvait pas être loin. Ce n'est pas la première fois que je l'escalade, ce frêle frêne, mais cette fois, je monte encore plus haut, jusqu'à ce que les branches ne soient pas plus grosses que mon poignet. Et alors je l'aperçois, le poussin immobile, les plumes au soleil, sur un nid grossier mais très intelligemment dressé sur la plateforme que constitue une javasse qui d'en bas, ne paye tellement pas de mine qu'on ne pourrait jamais soupçonner qu'un nid d'aigle fût là.

          C'est à ce momet-là de l'histoire qu'il convient de s'extasier devant l'intelligence des bêtes et du génie de la Nature...

          L'arbre du nid repéré, j'installe une tente sur une terrasse à mi-hauteur et espère, quelle naïveté, que je pourrais, après une nuit de planque, photographier les parents apporter qui sait, un python ou un anaconda à leur progéniture piaillante. Une photo qui ferait la une de Nature pour sûr...

          Une visiteuse à cheval m'incite à trouver un autre arbre observatoire et c'est deux terrasses plus haut que je déniche le chêne facile à escalader (je ne vais pas non plus, hein, risquer ma vie tous les jours !) qui n'est obscurci par aucun autre feuillage pour donner vue sur le nid. Un nid bien primitif, rien du confort moelleux anglais des nids de mésanges charbonnières par exemple, rien de la délicatesse ouvragée de celui des merles, à peine quelques branches sur la vasque naturelle de la javasse. A se demander comment l'oeuf pouvait tenir et être couvé en même temps. J'y aperçois le poussin, l'aiglon, qui fait le mort, tapi, en attendant ses parents. La cavalière fait une photo. On n'en aperçoit que quelques plumes.

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          J'installe une vieille toile de tente dans les branches du chêne pour n'être pas vu des parents. Mais ils ont la fâcheuse habitude d'apporter leur coronelle ou leur couleuvre à collier juste avant que je sois sur place ou après que je sois retourné à la maison.

          Je savais que l'évènement intéresserait un ami ébéniste et ornithologue à ses heures. Et excellent photographe en plus. Il vint avec un équipement formidable et surtout avec la patience de l'affût. Il tint plus de quatre heures et l'aiglon se redressa, malheureusement dans la mauvaise lumière.

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              Je revins le lendemain et, la chance du débutant, l'aiglon était levé dans la lumière du levant.

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          Il s'envola début août mais n'alla pas loin. Il changeait d'arbre régulièrement mais se faisait toujours nourrir par ses parents. Le repérage des serpents depuis le ciel, cela requiert sans doute un long apprentissage. Par contre, dès qu'il eût quitté Montpoulet... les poules se mirent à pondre.

 

 

          Ces aigles me rappellent un incident d'il y a exactement deux ans : j'avais vécu l'émotion des Aztèques à leur arrivée dans la cuvette du futur Mexico, sans blague ! Je sortais d'un conseil de la classe dont j'étais professeur principal et un collègue m'avait chaleureusement congratulé parce que je venais de présider le dernier conseil de classe de sa carrière. Il prenait sa retraite à la fin de l'année. Moi, cela m'aurait déprimé mais visiblement pas lui... Alors quel rapport avec les Aztèques ? Avaient-ils aussi des conseils de classe ? Ou la retraite à 60 ans, dans la fleur de l'âge ? Ben non, c'est juste qu'avant l'épingle à cheveux d'Empurany (du grec emporion, place de commerce, on a l'histoire longue par ici) j'aperçus un rapace, que je pris pour une buse, qui fondit sur le bas-côté de la route, à quelques mètres de mon véhicule, et j'eus bien le temps d'apercevoir le ventre de la couleuvre que l'oiseau venait d'attaquer, exactement la même vision, toutes proportions gardées, et comme illustrée par le drapeau mexicain, qui a poussé les Aztèques a fonder leur capitale dans la fameuse cuvette lacustre.

drapeau-mexicain

          Le problème auquel, naturellement, je me heurtais alors, c'était comment annoncer à Françoise que tout juste après avoir fini la reconstruction de notre maison, il allait nous falloir recommencer, dans l'épingle à cheveux d' Empurany... Mais me voici maintenant rasséréné, la buse était donc un Circaète Jean le Blanc, et comme signe des cieux, plutôt que l'endroit où il attrape sa proie, quoi de mieux pour indiquer où l'on doit vivre, que l'endroit où il l'emporte, que là où il niche ?

Publié dans Faune pouletmontoise

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