41é épisode : The Mountchicken Principality

Publié le par Prince Bernard

 

Françoise et Bernard ont racheté en 1994 la ferme totalement en ruines de l’arrière-grand-père de Bernard, à Montpoulet. Ils viennent d’abord y passer leurs vacances et débroussaillent. Ils retrouvent la source, une faune fabuleuse, des voisins hospitaliers tandis que la configuration cabalistique des fondations les fait espérer un trésor. Ils viennent s’installer dans une caravane en 1997. Leur permis de construire, refusé trois fois, est finalement accordé sous conditions drastiques, et les travaux vont bon train malgré l’amateurisme de ces néo-ruraux. Après avoir retourné son tracteur trois fois, Bernard fait écrouler toute une façade ; deux pins manquent tout juste de lui coûter la vie, leur poulailler est razzié par des prédateurs mais heureusement ils bénéficient de l'aide d'autres animaux qui témoignent de l'état naturel bien préservé de Montpoulet. Ils bénéficient du formidable coup de main d'un personnage haut en couleurs qui leur fournit la goutte qui fit déborder le vase (voyez les épisodes précédents : http://www.magnouloux.fr/lachroniquedemontpoulet).

 

La Principauté de Montpoulet est une principauté auto-proclamée. Comme celle de Monaco, rien de plus, rien de moins. Ah si ! Nous, nous l’avons acheté, alors qu’à Monaco, ils l’ont prise d’assaut… Nous en sommes donc Prince et Princesse. Un adoubement que je me suis amusé à justifier ainsi :

Pour être sérieux un instant, il faut convenir que la noblesse des sentiments, la noblesse d’âme, la noblesse tout court n’est pas le monopole, ni même parfois l’apanage, de ceux qui portent un titre de noblesse. Et qu’est-ce qu’un titre de noblesse, à l’origine, sinon le nom des terres qu’on vient d’arracher par la violence, le meurtre ou la ruse, en bref par la guerre, à son ancien occupant ? Qu’est-ce qu’un titre de noblesse, à l’origine, sinon une fioriture et un essai de transcendance ajouté à la voracité, à la cupidité, à l'appétit d’un petit chef de guerre qui sait mieux se battre, qui sait mieux mal faire que les autres ? Et voilà notre chef de hordes franques qui devient « de France ». Avec toutes les billevesées, toutes les bondieuseries destinées à faire croire à quelque improbable sang bleu, à quelque choix des supposées puissances surnaturelles, mais rien de plus finalement à ces niveaux-là qu’une gigantesque supercherie. Aux origines.

Maintenant, je concède que, fors les origines, le titre hérité ou le titre mérité s’est souvent accompagné de la noblesse d’âme. De la noblesse qui conduit les officiers aristocrates à monter à l’assaut sabre au clair sous la mitraille à la tête de leurs escadrons. De la noblesse qui conduisent certains barons d’industrie ou serviteurs de l’État à particule à sincèrement mettre leur vie au service de la communauté. Mais enfin, tout bien pesé, il n’y a rien de scandaleux, ni même rien de nouveau à ce que j’accole à mon patronyme le nom de mon lieu d’habitation. Et je voudrais même que cela soit un exemple, et que chacun, en se parant d’un pseudonyme noble s’engage à l’honorer par de nobles sentiments. Ce serait un formidable outil d’éducation et d’égalité. On pourrait s’appeler Durant de Montpellier, Martin du Gard, Adamcewski de la Sorbonne mais aussi Mourad de Saint-Germain ou Leïla de Garges-lès-Gonesse. Un outil contre la raréfaction des patronymes qui paraît-il nous menace. Nous avons d'ailleurs là un célèbre précurseur avec Voltaire. De son vrai nom Harouet, il se faisait appeler de Voltaire et au rejeton d'une puissante famille aristocrate qui le lui reprochait, il répondit « Je commence mon nom, vous terminez le vôtre ». Cela lui valut d'être bastonné puis exilé. Que je sois exilé de Montpoulet me peinerait beaucoup mais je persiste.

 

Très rapidement d'ailleurs l’usage officialisa la chose. Au départ, il suffisait de dire que le lieu était « dit » Principauté de Montpoulet. Incontestable. Nous avons donc fait adresser nos factures au « lieu-dit Principauté de Montpoulet » puis sous-entendu, comme c’est la coutume partout, l’intitulé « lieu-dit ». Les factures téléphoniques ont servi d’attestation de domicile, et j’ai obtenu une carte d’identité qui donnait pour mon adresse « Principauté de Montpoulet ». Cela amusa beaucoup le maire et sa secrétaire, si bien que lorsque ce fut le tour de Françoise, qui, elle, ne goûtait pas la plaisanterie, ils ont insisté pour qu’elle fasse de même. Nous avons maintenant nos deux passeports à cette prestigieuse adresse. Et le maire m’a longtemps demandé comment il devait m’appeler, Monsieur ou Monsieur le Prince ? J’ai toujours répondu « Faisons simple si vous voulez bien, appelez-moi Monseigneur ! »

Une fois la Principauté de Montpoulet devenue officielle et notamment sur les cartes, il fallut bien songer à une alliance. Le Commonwealth, cette association d’anciennes colonies britanniques, s’imposa puisque l’anglais est la deuxième langue la plus parlée à Montpoulet. Et pour y nous préparer, la Route Nationale 1 (de Montpoulet) s'est parée de nouveaux panneaux bilingues :

41é épisode : The Mountchicken Principality
41é épisode : The Mountchicken Principality
41é épisode : The Mountchicken Principality

En fait l'idée est venue lors de mon anniversaire l’été 201x où je suis devenu un peu plus qu’un quinquagénaire. Tel un monarque libéral, j’ai décidé d’accorder l’indépendance… enfin, plus exactement, j’ai dévolu les pouvoirs de direction… aux roues avant de mon tracteur. Elles vont maintenant où elles veulent. Il faut dire qu’elles militaient depuis longtemps. Elles font partie du Mouvement pour les Droits Inédits, un moyen normalement commode pour donner à ses leaders de confortables postes de fonctionnaires. Par exemple : « le droit de rouler à gauche quand l’autoradio diffuse une chanson anglaise » ou, beaucoup plus classique, « le droit de partir à la retraite avant tout le monde pour avoir le temps de s’entraîner à ne rien faire ».

Histoire de satisfaire tout le monde, j’ai décidé de ne diffuser que de la musique anglaise et d'instituer la conduite à gauche pour tous, la seule qui soit parfaitement naturelle et qui préexistait partout avant que Napoléon ne bouleversât tout.

 

Participant toujours de notre effort à nous faire accepter du Commonwealth et donc à nous doter d’une culture britannique, nous avons ensuite inauguré notre golf, un modeste pitch and putt pour commencer. Modeste mais retors. Avec nos pentes à dahuts, les golfeurs doivent s’encorder avant de songer à frapper leur petite balle et la doter d’une petite ficelle en nylon solide pour le cas où elle dégringolerait jusque chez nos voisins d’en bas. Du golf-jokari en somme.

La troisième mesure d’anglicisation nous a été imposée par les événements. Notre poulailler étant, nous l'avons vu, constamment l’objet d’attaques de prédateurs, nous nous sommes protégés des rapaces en installant des filets, et des chiens errants en renforçant la porte qu’ils avaient défoncée. Mais les renards ont pour eux la ruse d’agrandir la moindre des mailles faibles de la grille, patiemment, jusqu’à obtenir un trou par lequel ils arrivent non seulement à entrer mais à extirper les corps de leurs victimes. Il fallait donc prendre une mesure énergique et d’envergure.

Aussi avons-nous décidé d’institutionnaliser la chasse au renard. C’est à Roger que revint le mérite du premier gibier, un superbe mâle qu’il a occis d’un coup de... binette, quasiment sans le vouloir, d’un geste réflexe lorsque le renard, prisonnier du poulailler, il ne retrouvait plus son trou, sautait de tous côtés. Bon, la méthode n’est pas très anglaise. La chasse au renard chez les sujets de sa majesté ne se faisait pas à binette mais à courre. Mais il fallait bien adapter la tradition au terrain particulièrement accidenté de Montpoulet. Donc la binette.

Roger, déjà fait par nous Marquis de la Ronce pour son travail consciencieux au jardin, fut ainsi nommé « Grand Veneur » pour le courage exceptionnel dont il fit alors preuve. Et la nouvelle se répandit chez les goupils. Plus aucun d'entre eux ne s'est plus risqué à portée de binette.

Les britannisations suivantes tiennent au progrès de la technique. Maintenant que nos véhicules sont équipés du positionnement par satellites, il nous a fallu revoir quelques certitudes : le col d’entrée dans la Principauté est à 663 m d’altitude et non pas à 650 m comme je l’avais hâtivement calculé sur carte en espérant qu’il devînt ainsi lieu de rassemblement pour la Confrérie des 650 (il s’agit du diamètre de leurs roues, en millimètres, en derniers défenseurs du système métrique pour le vélo) et la distance au premier village français, Saint-Victor, n’est pas de 2 km mais très précisément de 1604 m. Il s’agit donc pile d’un mile anglais, de quoi accélérer notre adoption des mesures impériales : nos pneus et nos écrans s’étaient déjà mis aux pouces sans que nous ayons à intervenir et il ne nous reste plus qu’à adapter la mesure du débit de notre source miraculeuse.

Après 100 mm de pluie en cinq jours, elle est à son maximum, presque 10 m3 par jour : Comment le sais-je ? Parce que je mesure le débit à l'aide d'un mug d'environ 30 cl (bientôt « half pint »). Et le nombre de secondes qu'il est nécessaire à la source pour remplir la mesure me permet, grâce à une sorte de Pierre de Rosette opportunément placée, non pas (encore) au British Museum, mais à proximité, de trouver le débit (oui, encore en litres, mais bientôt en quarts et gallons).

41é épisode : The Mountchicken Principality

L'information ne serait pas complète sans le débit des mois de septembre, en fin d'été : autour de 300 litres/jour. Comme cela suffit à peine pour les douches, les chasses et les lessives, boire du vin devient impératif et c'est alors que la source fait des miracles.

 

J'allais oublier un détail qui nous classe irrémédiablement dans le camp britannique : des points à la place des virgules pour séparer les entiers des décimales. Déjà plein de gens font comme nous, même les supermarchés !

Et puis, naturellement, notre Principauté éveilla les appétits financiers : il semblerait que le seul terme de Principauté évoque aussitôt chez certains la perspective de gruger le fisc et d’éviter de contribuer au bien public, ce qui, comme on le sait maintenant bien mieux qu’avant, consiste à payer des intérêts aux banques dont nos gouvernements successifs, par leurs largesses tous azimuts, se sont rendus les débiteurs. Alors nous acceptons et décrétons :

Nous, Bernard 1er, Prince-Evêque de Montpoulet, Messycle de l’Église des Cataphotes Resplendissants, décidons de rémunérer les sommes qui nous seraient confiées à l’indice M (comme Madoff) + 10 par semaine. C'est-à-dire que pour 1000 Euros que l’épargnant nous remettrait, nous lui retournerions, dès la semaine suivante, le temps de vérifier que son chèque n’est pas en bois, du bois nous en avons déjà beaucoup, la somme de 1200 unités de monnaie du pape (UMP), en espèces.

 

41é épisode : The Mountchicken Principality

J’ai enfin rempli le formulaire d’adhésion au Commonwealth et l’ai expédié à Londres, au Palais de Buckingham, accompagné des pièces justificatives des opérations décrites ci-dessus. Il n’y a plus qu’à attendre la réponse. Et tout à l'excitation de converser avec les grands de ce monde, tout gonflé de la prétention de mon titre nobiliaire, j'écrivis aussi à l'Armée de l'Air pour poser réclamation. Je vous raconte cela la prochaine fois.

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